XXIème siècle. Rick Deckard est un blade runner, policier qui traque des androïdes meurtriers ou fugitifs nommés réplicants...
Affiche réalisée par Drew Struzan pour la sortie du "Final Cut".
A l'origine il y a Philip K Dick, grand auteur oeuvrant notamment dans la science-fiction et jouant entre rêve et réalité (si bien qu'on peut le voir comme une inspiration notable de feu Satoshi Kon). Un auteur qui a attiré à titre post-thume (il est décédé en 1982) divers réalisateurs, que ce soit Steven Spielberg (Minority report, 2002), Paul Verhoeven (Total recall, 1990), Richard Linklater (A scanner darkly, 2006) et bien évidemment Ridley Scott avec Blade Runner (1982). Initialement, le réalisateur britannique devait mettre en scène Dune après Alien (1979). Le destin a voulu qu'il soit plus intéressé par Les androïdes rêvent-ils de mouton électrique ? (1968), laissant la place à un David Lynch visiblement pas prêt pour l'expérience. Blade Runner ne fut pas un tournage de tout repos. Scott était souvent en conflit avec son équipe américaine comme les producteurs, y compris avec Harrison Ford car de son aveu il ne le dirigeait pas assez. A sa sortie le film fut un flop commercial aux USA, mais il trouva son public ailleurs (2 millions d'entrées en France).
A cause de divergences d'opinions entre production, studio et réalisateur, Blade Runner est aussi un film qui a multiplié les versions depuis 1982 jusqu'en 2007. Seulement quatre versions sont disponibles au moins en coffret BR, mais il en existe en fait sept (*). La première fut le montage effectué pour des projections-test à Denver et Dallas et se rapproche du "director's cut" de 1992. Les deuxième (pour une projection-test à San Diego) et troisième (celle diffusée dans les salles américaines, donc "l'U.S. theatrical cut") furent assez similaires en dehors de scènes en plus dans la première. Comme le voulait souvent les 80's, Blade Runner est sorti en deux versions en 1982 : la troisième et une quatrième plus violente pour l'international ("l'International theatrical cut"). A cela se rajoute une cinquième version visiblement édulcorée pour la télévision américaine (chose qui se fait assez souvent, cf Le Parrain). Arrive alors le "director's cut" de 1992 qui supprime la voix-off, le final issu des rushes de Shining (Stanley Kubrick, 1980) et ajoute plus d'ambiguité au sujet de Deckard (Ford). Le "Final cut" de 2007 enfonce le clou en sous-entendant encore plus la nature de Deckard.
Scott a retouché pas mal de plans numériquement, notamment en insérant le visage de Joanna Cassidy sur le corps de la cascadeuse qui brisait les vitres dans sa célèbre fuite. C'est la version définitive selon son réalisateur et la logique veut que la séquelle signée Denis Villeneuve (Blade Runner 2049, 2017) aille dans son sens. Au contraire d'un George Lucas qui a sans cesse retoucher ses films au point que cela en devenait gênant (le director's cut de THX 1138 est à vomir), Scott a en quelques sortes bonifié encore un peu plus son film. Pour avoir assisté désormais à deux projections en salle du "Final cut", votre cher Borat confirme que Blade Runner est une expérience monumentale sur grand écran. Le film a désormais trente-cinq ans et pourtant il n'a quasiment rien pris. Certes quelques effets perdent un peu de leur valeur (notamment les inserts de vaisseaux se déplaçant dans les airs), mais est-ce réellement problématique ? A l'heure où des blockbusters arrivent à peine à tenir la route visuellement malgré des moyens astronomiques, voir Blade Runner (qui plus est au cinéma) est un plaisir pour les yeux au point d'en redemander. Ce n'est pas pour rien si Blade Runner est resté une influence notable pour des films et séries de science-fiction, à l'image du récent Ghost in the shell (Rupert Sanders, 2017).
James Cameron s'est même inspiré largement du look du film pour le prologue de la version définitive d'Avatar (2009) avec une ville surpolluée, surpeuplée et pleine d'écrans. Un résultat fantastique que l'on doit aussi bien au chef opérateur Jordan Cronenweth qu'aux effets-visuels de Douglas Trumbull. En 1982, Blade Runner montrait que l'on pouvait faire dans la science-fiction futuriste, tout en restant dans un cadre réaliste. Ce qui renforce l'impact qu'a pu ou a encore ce film auprès des spectateurs le découvrant ou le regardant encore et encore. Blade Runner a beau se situer dans une seule ville (Los Angeles), sa population cosmopolite (on trouve aussi bien des blancs, des asiatiques, des arabes et évidemment des androïdes) fait que l'on peut s'imaginer des villes similaires. Los Angeles se révèle pluvieuse comme le New York des films noirs. L'influence du genre se poursuit également dans une intrigue policière, où le personnage principal est un anti-héros pas loin de ceux incarnés par Humphrey Bogart. Il faut voir par exemple son comportement avec Rachel (Sean Young) particulièrement douteux (pour être gentil), malgré un certain attachement. De la même manière, le personnage est souvent mis en difficulté par ses assaillants (Rutger Hauer en tête), changeant des rôles plus virils qu'a joué Harrison Ford précédemment (notamment Indiana Jones).
Le monde a évolué, la Cité des anges est devenue un ballet de lumières dans un univers assez sombre (séquence monumentale notamment les plans sur les yeux) et la technologie de 2019 a considérablement évolué. Les voitures volent et évidemment il y a les androïdes. (attention spoilers) L'intrigue est posée dès les premières minutes à travers un carton nous évoquant l'époque (2019), le nom des androïdes au centre de l'intrigue (les Nexus 6 ou Réplicants) et ceux qui les traquent (les Blade runner). La séquence suivante nous dévoile un réplicant (Brion James) tuant un agent essayant de le démasquer par un test. Scott nous montre alors que les Réplicants sont assez perfectionnés pour passer inaperçus dans le quotidien (ce qui les rend d'autant plus dangereux), mais qu'ils sont quand même détectables par ce moyen. Si l'ennemi reste tout de même le Réplicant, on peut aussi tout à fait comprendre leurs revendications. Ce sont avant tout des créatures cherchant à survivre car leurs vies sont éphémères. Il y a une forme de mélancolie qui permet de les trouver un minimum attachant, malgré leurs actes violents. Rutger Hauer apparaît comme un leader charismatique et ses dernières scènes sont particulièrement magnifiques.
L'androïde se désagrège devant nous, perdant ses fonctions motrices comme l'usage de sa main (d'où la scène du clou). Si Roy sauve Deckard d'une mort certaine, c'est parce qu'il ne lui reste que quelques secondes à vivre. Le combat est terminé pour lui. Le personnage en vient même à devenir peut être plus humain que son adversaire en face (en l'occurrence Deckard). Toutefois et c'est là où les dernières versions sont troubles, il est plus ou moins suggéré que Deckard puisse être un réplicant ou alors un modèle supérieur (ce qui expliquerait sa longévité à venir). Plusieurs allusions amènent à cette réflexion. Sur plusieurs plans, on peut voir que Deckard a les yeux rouges comme ceux des Réplicants en pleine lumière. De plus, il y a le rêve de la licorne (animal imaginaire que Scott reproduira pour son film suivant Legend) qui serait un implant installé dans son cerveau, comme l'araignée dans le cerveau de Rachel. Deckard semble avoir des souvenirs de son passé (ou tout du moins c'est ce qui est suggéré par des photos de famille), mais il se peut très bien que tout cela ne soit qu'une illusion. Comme Rachel ne sait pas qu'elle est un réplicant avant que Deckard ne lui avoue la vérité.
Ridley Scott a plus ou moins suggéré que Deckard était un réplicant, Harrison Ford n'est pas d'accord, nous verrons si Denis Villeneuve tranchera la question mais pas sûr. (fin des spoilers) Le film peut décontenancer les premières fois, dû à un rythme un brin lent et des scènes d'action finalement très peu présentes. Blade Runner en a peu, plus ou moins concentrées dans son climax qui n'est même pas un réel affrontement (Deckard fuit l'ennemi plus qu'il ne le combat). Toutefois, plus on voit Blade Runner, plus il semble dynamique. Comme si le spectateur oubliait ses préjugés de départ et tombait en totale adéquation avec le récit et ce qu'il voit. C'est le cas aussi avec la musique de Vangelis en ce qui concerne votre interlocuteur. A l'époque, elle l'avait décontenancé et finalement il la trouve parfaitement hypnotisante aujourd'hui. Memories of green est un morceau assez simple, fait majoritairement de piano et se mariant parfaitement avec la mélancolie développée par le film. Le Love Theme est évidemment le morceau le plus connu avec le saxophone romantique de Dick Morrissey (sur une séquence qui ne l'est pas toujours), alimenté également par des synthétiseurs allant dans le même sens. Que dire également du superbe Tales of the future, ses airs arabisants et la voix du regretté Demis Roussos à vous en donner des frissons ?
Oeuvre maltraitée à sa sortie, Blade Runner est aujourd'hui considéré comme le classique qu'il aurait toujours dû être. Un chef d'oeuvre à la fois dans sa réflexion sur la robotique et par un visuel encore irréprochable trente-cinq ans après sa sortie.
Article initialement publié le 28 octobre 2009.
* Pour les curieux, voici la durée des quatre versions disponibles dans le coffret BR :
- l'U.S. theatrical cut : 1h57m16s
- l'International theatrical cut : 1h57m25s
- le Director's cut : 1h56m34s
- le Final cut : 1h57m36s