La malice n'a pas d'âge
Suite à Knick Knack (John Lasseter, 1989) et plusieurs publicités, Pixar se sent prêt à réaliser un long-métrage. Alors en plein renouveau depuis La petite sirène (Clements, Musker, 1989), les studios Disney sont intéressés par Pixar et concluent un accord avec Steve Jobs. Jusqu'à 2005, les relations entre les deux studios seront correctes malgré quelques brouilles notables, entraînant des difficultés au moment de renouveller le contrat (le studio sera finalement racheté par Disney). Pixar accouche de Toy Story (John Lasseter, 1995), prouesse visuelle s'il en est, preuve que l'on peut marier ordinateur et émotions (une hantise à l'époque). Pendant que le studio se penchait sur 1001 pattes (Lasseter, 1999), l'instigateur de Ratatouille Jan Pinkava bossait sur un nouveau court-métrage Le joueur d'échecs (1997). Le court aura l'honneur de l'Oscar du meilleur court-métrage animé, mais aussi un prix pour son auteur à Annecy. De plus, le film aura droit à une visibilité internationale en étant diffusé juste avant 1001 pattes. Une méthode renouvellé par la suite par Pixar afin de permettre à leurs animateurs de s'exercer à la réalisation.
Et si Geri était le réparateur de Toy Story 2 (John Lasseter, 1999) ?
Pixar continue dans la comédie burlesque avec cette histoire de deux vieillards jouant aux échecs. D'un côté, nous avons un vieil homme à lunettes peu énergique et hésitant un peu à mettre ses pions. De l'autre, un autre vieillard mais sans lunette et particulièrement vantard. Ce dernier bat à plate couture le premier, faisant tomber un par un les pions de son adversaire. Mais comme l'indique le titre original, il s'agit du jeu de Geri et dès les premières secondes, Pinkava nous montre l'envers du décor. Il ne s'agit pas de deux personnes jouant normalement, mais d'une seul ! Geri joue donc deux rôles dans un délire schizophrène absolument délirant. Pinkava s'amuse complètement du postulat en misant sur le plan large. Ainsi, il n'y a pas de mensonge pour le spectateur qui voit bien le personnage bougeait d'un endroit à l'autre. A partir de là, le rythme est plus rapide et les coups plus incisifs. Ainsi on a vraiment l'impression de vivre un duel. Puis tout d'un coup, retournement de situation dans tous les sens du terme. Les règles du jeu ont changé et la place des personnages aussi.
Le regard candide du Geri à lunettes est absolument redoutable, ce dernier prenant le dessus sur l'adversaire vantard bloqué par une mise en scène improbable. Une malice à toute épreuve et qui prend fin par un don de dentier. Mais là où Pinkava fait fort, c'est avant le retournement de situation. Il se trouve que le Geri vantard regarde le Geri à lunettes alors qu'il est censé être par terre. Le réalisateur brouille la perception du spectateur, au point de se demander si Geri est bien une seule et même personne ou deux. Si le final ne laisse aucune ambiguité, ce court passage aura eu le mérite de faire douter le spectateur. La musique à base d'accordéon souligne cet effet un peu français que l'on retrouvera sur Ratatouille (Brad Bird, 2007), ce qui contraste avec le décor qui évoque plus Central Park. Bien que les choses ont changé depuis 1997, Le joueur d'échec n'a pas pris une ride. Pour ceux qui le reconnaîtront, Geri est le nettoyeur de Woody dans Toy Story 2, où on le voit là aussi sur ses deux aspects. En résultes, un mémorable court-métrage qui montre que la vieillesse n'empêche pas la malice.
A voir ici : https://www.youtube.com/watch?v=gLQG3sORAJQ