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7 février 2018

La consécration de Steven

Après les prolifiques 80's, continuons la retrospective du créateur d'ET avec la décennie 1989-99. (attention spoilers)

  • Un retour décevant (1989-91)

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Juste après Indiana Jones et la dernière croisade (1989), Steven Spielberg enchaîne avec le remake d'Un nommé Joe (Victor Fleming, 1943), la même année où il propose à Martin Scorsese de faire celui des Nerfs à vif (J Lee Thompson, 1962). Il s'agit d'ailleurs de son seul remake en dehors de son segment de La quatrième dimension le film (1983) ; La guerre des mondes (2005) étant une réadaptation du roman d'HG Wells (1897), tout comme West Side Story (2021) avec la comédie-musicale de 1957. Le réalisateur du Magicien d'Oz mettait en scène un pilote de bombardiers abattu par des chasseurs allemands durant la Seconde Guerre Mondiale (Spencer Tracy). Il se retrouve alors en fantôme, aidant un jeune homme amoureux de sa veuve (Van Johnson et Irene Dunne). Un film que le réalisateur aime beaucoup, au point donc d'en faire un remake, mais aussi d'en mettre un extrait dans Poltergeist (Tobe Hooper, 1982) qu'il a produit. Le schéma narratif est assez similaire, à la différence que le film ne se situe pas dans les 40's et ne met pas en scène un bombardier. Il fait de Richard Dreyfuss, Holly Hunter et Brad Johnson des pilotes de bombardiers d'eau, des "pompiers volants". Dreyfuss joue le mort, Hunter sa veuve, Johnson le nouvel amant.

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Le film se situe de nos jours même s'il a désormais un look très 80's. N'ayons pas peur de le dire, Always fait partie des mauvais films de Spielby. Pas qu'il soit désagréable à regarder, mais il est terriblement anecdotique. Le réalisateur ne parvient jamais à passionner avec son histoire, ses péripéties ou même ses personnages. D'autant que le film dure deux bonnes heures, une habitude pour le réalisateur qui peut vite devenir une tare. Quand le sujet ne le permet pas, cela peut s'avérer compliqué de faire tenir le spectateur aussi longuement. L'accueil particulièrement mitigé qu'a reçu Always a tendance à le confirmer. Le film est d'ailleurs le premier de Spielberg à n'avoir pas dépassé le million d'entrées en France depuis Sugarland express (Always finira sa carrière à près de 690 000 entrées). Spielby donne lieu à de longues scènes histoire d'insister sur l'amour entre les deux amants, idem quand il s'agit du "second couple", notamment autour de scènes de danse. Mais au final, la sauce ne prend jamais. Spielby tombe trop dans le sentimentalisme guimauve à la Ghost (Jerry Zucker, 1990) et il est d'ailleurs ironique de trouver des scènes similaires dans les deux films, encore une fois autour d'une scène de danse (sauf que Dreyfuss ne prend pas la place de Johnson, comme Patrick Swayze le fait avec Whoopi Goldberg).

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Dreyfuss et Hunter ne semblent pas vraiment à l'aise, au point que l'on se demande s'ils forment un vrai couple. Brad Johnson est bien peu charismatique et son jeu d'acteur est particulièrement médiocre. Au final, celui qui s'en sort le mieux est John Goodman alors qu'il s'agit d'un second-rôle (le meilleur ami de Dreyfuss dans le film et celui qui l'a sauvé d'une mort certaine). Puis il arrive un miracle en plein film. Audrey Hepburn passe et on contemple la beauté de cet ange guidant le mort à travers sa nouvelle vie. Spielberg a eu un privilège un brin morbide : il est le dernier réalisateur à avoir mis en scène l'actrice de Charade et il réussit à la magnifier. Les scènes en avions sont plutôt pas mal (notamment l'explosion de l'avion de Dreyfuss), mais on peine à se passionner pour ces "pompiers volants". Là où il semble y avoir un certain intérêt voire suspense dans le film de Fleming, on peine à en trouver ici et ces scènes ne parviennent pas à nous sortir de l'ennui. Spielberg se lance ensuite dans un projet beaucoup plus ambitieux : une suite à Peter Pan (JM Barrie, 1904). Il s'y intéresse dès les 80's pour le compte de Disney, mais laisse vite tomber suite à la naissance de son fils en 1985.

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Affiche réalisée par Drew Struzan.

Il est dans un premier temps question de se baser sur le film muet d'Herbert Brenon (1929) et du film d'animation Disney (1953), puis d'un musical. Spielberg fera quand même un clin d'oeil au film de 1953 avec une peinture représentant le Capitaine Crochet dans un look proche des dessins du film. Nick Castle (grand copain de John Carpenter et scénariste de New York 1997) est engagé pour le réaliser avant de se brouiller avec la production. James V Hart (le scénariste du Dracula de Francis Ford Coppola) a l'idée de s'attaquer à une suite des aventures de Peter Pan, à la différence que Crochet est toujours vivant (alors qu'il est mangé par un crocodile dans l'histoire originale). C'est même ce dernier qui apparaît comme le réveil de Peter en kidnappant ses enfants dans Hook. Le projet passe de Paramount à Tristar, Malia Scotch Marmo et Carrie Fisher (qui ne sera pas crédité) repassent sur le scénario de Hart ; et on relate des relations houleuses entre Julia Roberts (qui joue Clochette) et Spielby sur le tournage, visiblement parce qu'elle jouait les divas.

Hook

Néanmoins, ces dires sont à prendre avec des pincettes, l'actrice étant dans un état dépressif après le fiasco de sa relation avec Kiefer Sutherland, cumulé à son succès naissant. Hook est une production assez titanesque, le film ayant été tourné dans les studios de Sony (neuf seront réquisitionnés pour le film). Le décor mettant en scène Crochet dans un port en est la preuve, fourmillant de détails jusqu'à un crocodile en totem trônant sur une place et gardant en souvenir son fameux tic-tac cher aux cauchemars de Crochet (Dustin Hoffman). A cela rajoutez un grand nombre de figurants qu'ils soient adultes ou enfants. Le public répond présent pour Hook (300 millions de dollars récoltés pour environ 70 millions de budget), mais la critique se veut moins enthousiaste. Il faut dire que le film malgré la sympathie qu'il peut dégager n'est pas irréprochable. Il s'étale sur 2h16, s'attardant sur beaucoup de choses sauf sur celles qui méritent un peu plus d'attention. On pense notamment aux doutes de Peter (Robin Williams) face au statut de héros qu'il n'est plus, du sauvetage peut-être impossible de ses enfants (Charlie Korsmo et Amber Scott) et évidemment sur son possible nouveau départ du Pays Imaginaire. Peter n'est plus l'enfant qu'il était. En quittant le Pays Imaginaire pour Wendy (Maggie Smith), il est devenu un adulte, est marié (Caroline Goodall), est devenu père et un bourreau de travail qui ne voient pas ses enfants grandir.

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Son retour au Pays Imaginaire lui permettra de retourner en enfance, mais aussi de se rappeler ce que c'est de s'amuser. Ces questionnements apparaissent dans le film (et heureusement) lors d'étapes clés, mais sont souvent floués par des enfantillages qui durent beaucoup trop longtemps. Ainsi, l'entraînement avec les Garçons Perdus est beaucoup trop long et vite lassant et la rivalité entre Peter et Rufio (Dante Basco) ne fait qu'alourdir le récit d'un élément supplémentaire. De la même manière, l'endoctrinement de Crochet sur le fils de Peter est vite évacué au cours du final, ne laissant finalement que peu d'enjeux au climax. Spielberg s'enfonce parfois trop dans la guimauve, parvenant difficilement à faire croire à quelque chose de merveilleux (rien à voir avec le récent Pan de Joe Wright). Engagé tout comme Dustin Hoffman avant que Spielby ne débarque sur le projet, Robin Williams n'est pas toujours juste et en fait parfois trop (ce qui pouvait arriver quand il était en roue libre). On peut aussi trouver que certains effets-spéciaux ont pris un petit coup dans la figure. Toutefois, tout n'est pas négatif. Comme évoqué plus haut, le film soulève des questionnements intéressants autour de Pan.

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Spielby s'amuse dès l'ouverture à désacraliser l'oeuvre de Barrie, tout d'abord en jouant sur la mise en abyme. Peter Pan est devenu une histoire fictive (sa fille joue Wendy, soit son arrière grand-mère) et Wendy évoque que son voisin JM Barrie s'est inspiré de son histoire. Il le montre ensuite apeuré dans un avion, avant de se comporter comme Crochet, l'homme qui est devenu adulte (Wendy lui fait même la réflexion qu'il est devenu un pirate). Il reproche à son fils d'être un enfant et qu'il serait temps qu'il grandisse une bonne fois pour toutes. Le réalisateur se permet même un hommage à une célèbre scène du Cuirassé Potemkine (Sergueï Eisenstein, 1925) pour évoquer les origines de Peter. Au final, c'est quand Spielberg s'intéresse vraiment à Peter que le film est bon. Dommage que ce ne soit pas tout le temps le cas. Steven Spielberg finira par revenir sur le devant de la scène en 1993 avec un film beaucoup plus ambitieux.

  • La saga Jurassic Park (1993-) : Une étincelle venant d'un moustique

Jurassic Park (2)

Affiche réalisée par Ken Taylor.

Lorsque l'auteur Michael Crichton écrit son roman Jurassic Park (1990), il s'inspire en grande partie de sa première réalisation Mondwest (1973). L'histoire d'un parc d'attraction où le visiteur incarne un cowboy ou un chevalier face à des robots censés être des acolytes, des servants ou même des ennemis. Jusqu'au moment où les robots censés être inoffensifs deviennent conscients et incarnent vraiment le rôle qu'ils sont censés jouer. Ce qui donnait par exemple Yul Brynner en archétype du méchant de western. Avec Jurassic Park, remplacez la robotique par des dinosaures créés à partir de sang présent dans des fossiles de moustiques et mélangé avec d'autres ADN pour les manques. Quand Crichton vend les droits, plusieurs studios et réalisateurs sont sur le qui-vive. Tim Burton et la Warner d'abord, Richard Donner et Columbia, Joe Dante et la Fox (avec laquelle il ne travaillera jamais que ce soit avant ou après) et évidemment Steven Spielberg et Universal. Ces derniers raflent la mise et Spielby se dit qu'il va en faire un "petit film" à l'image d'ET (1982). Mais le réalisateur veut d'abord faire La liste de Schindler (1993), ce qui ne plaît pas trop au patron d'Universal Sid Sheinberg.  

Jurassic Park (3)

Affiche réalisée par Patrick Connan.

C'est à la limite du chantage que Sheinberg lui dit que s'il fait le biopic sur Oskar Schindler avant, il n'aura plus la force de s'attaquer à l'adaptation du roman de Crichton après. Derrière cette tactique purement commerciale, Sheinberg n'avait peut être pas tord tant la réalisation de La liste de Schindler fut éreintante pour Spielberg. Au point de se demander s'il aurait réaliser un aussi bon film de Jurassic Park s'il l'avait réalisé après. Dans un premier temps, le réalisateur confie ses dinosaures à Phil Tippett (Robocop) pour les produire en stop motion, ce qui aurait rendu un bel hommage à Ray Harryhausen mais donne des résultats peu concluants. Le département de Stan Winston s'occupe des designs des dinosaures. Mais lorsque les animateurs Mark Dippé et Steve Williams dévoilent leurs tests en CGI, Spielberg sera convaincu de partir davantage vers l'animation, même si des animatroniques seront largement présentes à l'écran. Assistant à une projection-test des essais, Harryhausen dira à Spielby que "c'est l'avenir". Le grand Ray n'a pas tord non plus. James Cameron avait déjà beaucoup fait avec Abyss (1989) et Terminator 2 (1991), Jurassic Park signera l'apogée de la CGI photoréaliste au cinéma, avant même que Pixar ne réalise le premier long-métrage entièrement réalisé en images de synthèse. 

 Jurassic Park : Photo

Mais la révolution Jurassic Park ne serait rien sans une parfaite osmose entre CGI et animatroniques. La première rend réel ce que le second ne peut pas montrer entièrement. Si bien que les dinosaures font d'autant plus vrais quand ils interagissent avec les acteurs. Toutefois, Spielberg est malin et sait que s'il veut captiver le spectateur, il doit garder un coup d'avance. Si aujourd'hui nous avons énormément d'images concernant un film bien avant sa sortie, que ce soit par des photos sur le web, dans des magazines ou des bandes-annonces gargantuesques, le marketing de Jurassic Park fut particulièrement prude. Les plans avec les dinosaures sont si rares que si on ne savait pas de quoi parlait le film, on pourrait se le demander. Mieux encore, les grosses séquences (comme celle du T-rex) sont à peine annoncées, permettant un effet de curiosité redoutable. Une astuce comme une autre pour éviter de montrer des effets-spéciaux non finalisés, mais aussi pour rendre le choc visuel d'autant plus fort. Cela se confirmera également dans le film où la scène des brachiosaures restera pendant un temps la seule vision notable de dinosaures avant l'arrivée du triceratops malade. Il opte pour des petites touches avant de montrer le T-rex, attraction principale du film aux côtés des terribles vélociraptors.

Une séquence tétanisante de tension, où les événements se succèdent à une vitesse folle et où le spectateur se révèle impuissant devant ce dinosaure déchaîné et s'attaquant à des enfants en grande partie (Ariana Richards et Joseph Mazzelo). Avec cette séquence, Spielby confirme qu'il peut faire peur au spectateur et par plusieurs scènes, il s'y prend assez bien. Que ce soit pour montrer la lente agonie de Dennis (Wayne Wright) sous couvert de morale (celui qui était trop gourmand se fait manger par plus gourmand que lui) ; comme celle du chasseur (Bob Peck). Le dernier quart d'heure ne laisse aucun répit au spectateur, ni même aux personnages qui devront enchaîner les lieux pour ne pas mourir sous les griffes des raptors. Si Spielberg ne réalise pas un film d'horreur, il suscite quand même l'effroi et l'angoisse avec ses dinosaures et c'est là une autre réussite de Jurassic Park. Le scénario de David Koepp confirme également que Crichton était allé plus loin que Mondwest. Si ce dernier interrogeait sur l'intelligence artificielle sans toutefois aller jusqu'au bout (visiblement la série de Jonathan Nolan va un peu plus loin sur ce sujet), il se veut plus complexe avec les dinosaures en confrontant l'Homme à ses propres contradictions.

Jurassic Park : Photo

Faire d'une espèce disparue une attraction en pensant qu'elle va se conformer à nos attentes est évidemment une erreur immédiate. Comme de croire que la nature est uniforme et ne peut pas muter selon son environnement. Ce que dit Ian Malcolm (Jeff Goldblum) au docteur Wong (BD Wong) se confirmera plus tard sous les yeux d'Alan Grant (Sam Neill). Les apprentis sorciers se font avoir à leur propre jeu et finalement l'instinct sauvage passe au dessus de l'attraction. On ne peut pas dompter la nature, encore moins lorsqu'on ne la connaît pas. John Hammond (Richard Attenborough) dit qu'il a dépensé sans compter tout au long du film. Sauf qu'on ne se prend pas pour Dieu sans en payer les conséquences. Une autre qualité du film est certainement son casting. Outre ceux déjà évoqués, on citera également Laura Dern dans un rôle d'héroïne en puissance. Face à des hommes qui souvent ne savent pas ce qu'ils font, il arrive très souvent que son personnage prend des initiatives d'elle-même. Elle affrontera même un raptor toute seule (elle pensait tomber sur Sam Jackson, elle n'a trouvé que son bras) avant d'être rejointe par Grant. On lui doit même une réplique phare du film comme pour dézinguer une possible misogynie ambiante : "Dieu crée les dinosaures. Dieu détruit les dinosaures. Dieu crée l'Homme. L'Homme détruit Dieu. L'Homme crée les dinosaures. -Les dinosaures mangent l'Homme. La Femme hérite de la Terre."

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Il y a aussi la métaphore autour du couple Alan / Ellie. Visiblement ils sont en couple, mais chacun a une vision différente de l'avenir. Lui ne veut pas d'enfant, elle oui. Il a des préjugés sur eux, il va en côtoyer deux durant les trois quarts du film, au point même de les sauver d'une mort certaine. Si les chemins entre les deux possibles amants (ce n'est jamais clairement dit) finiront par se séparer au vue du troisième opus (avant de recoller les morceaux dans le dernier), ils en ressortiront grandis. Jurassic Park est un succès retentissant à sa sortie (914 millions de dollars de recettes totales pour 63 millions de budget), si bien qu'Universal pense avoir trouvé un bon filon. De la même manière que pour Les aventuriers de l'arche perdue (1981), Spielberg tient à être concerné et se retrouve à réaliser la suite. Un choix qu'il regrettera assez rapidement, ne se passionnant que moyennement pour Le monde perdu (1997) qui est aussi adapté d'un roman de Crichton (1995). Il ressort de La liste de Schindler et a semble t-il peu aimé de passer par un divertissement après un film aussi rude. D'autant plus qu'à cette période, le réalisateur va enchaîner trois films à une vitesse folle : celui-ci, Amistad (1997) et Il faut sauver le soldat Ryan (1998). Une habitude qui perdura par la suite, parfois avec deux films sortant en moins d'un an (ce qui arrive à nouveau avec The Post et Ready Player One).

Le monde perdu

Affiche réalisée par Patrick Connan.

Si Le monde perdu ne suscite pas le frisson que fut Jurassic Park, il n'en reste pas moins une sequel qui fait largement le boulot. David Koepp change d'approche et tire parti de la présence de Ian Malcolm en personnage principal. D'où une suite qui joue davantage sur le cynisme (Jeff Goldblum semble encore plus s'amuser avec son personnage) et même un humour pince sans rire pas forcément déplaisant. Il n'y a qu'à prendre l'ouverture potentiellement glaçante contrebalancée par un plan de transition montrant Malcolm en train de bailler ! Tout le long du film, Malcolm sera la caution un brin humoristique du film, jouant sans cesse de son statut de survivant pour rappeler aux autres personnages le danger qui les guette. Evidemment ils n'écouteront pas... De la même manière, Spielberg et Koepp s'amusent de son statut de rock star déjà évoqué en lui mettant dans les pattes une enfant issue d'une énième aventure (Vanessa Lee Chester) et une d'entre elle (Julianne Moore). La gamine ne sert pas à grand chose, si ce n'est à un moment un peu ridicule où elle dégomme un raptor en faisant de la gymnastique. Moore ne semble pas trop à l'aise même si elle s'en sort plutôt correctement. 

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Elle a beaucoup moins d'appui que Laura Dern par exemple. Les magouilles de John Hammond se reflètent désormais à travers son neveu (Arliss Howard) cherchant à faire un parc à dinosaures à San Diego, avec des dinosaures issus d'une île jumelle Isla Sorna. D'un côté, on retrouve l'équipe de John Hammond avec Malcolm, de l'autre des chasseurs commandés par le neveu. Deux visions différentes : l'une essaye d'éviter le braconnage engendré par l'autre. Inutile de dire qu'au bout d'un moment les deux vont devoir s'allier face à des dinosaures en territoire connu et qui ne veulent pas que l'on vienne sur leur territoire. Isla Sorna est une terre de non-droit où le Dinosaure est roi. L'Homme n'a pas lieu d'être ici et c'est pour cela qu'il est davantage attaqué sur cette île. Si aucune scène du film n'a autant d'impact que celles de Jurassic Park, Le monde perdu aligne toutefois des scènes particulièrement graphiques. La mort de Richard Schiff en est la preuve, filmée en plan large pour dévoiler un festin bestial. On peut d'autant plus s'étonner qu'une scène pareille soit passée crème devant un comité de censure. Un homme se fera également écrasé par un T-rex, un autre sera happé par le même sous une cascade de sang. 

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Plusieurs mercenaires finiront bouffés par des raptors. Peter Stormare se fera mangé vivant par tout un lot de petites créatures. Si John Hammond a appris de ses erreurs, les membres de sa famille les perpétuent quitte à mettre en jeu des vies humaines. C'est ce que dévoilera l'excellent climax faisant directement référence à King Kong (Cooper, Schoedsack, 1933) avec le T-rex à la place du gorille géant. Carnage assuré qui permettra au scénariste de se faire bouffer devant un vidéo-club. La preuve ironique de plus d'une suite qui ne manque pas de piquant. Un troisième volet finit par se mettre en route mais Spielby reste producteur, se préoccupant davantage de réalisations plus importantes (il signera coup sur coup AI, Minority Report et Arrête moi si tu peux). Il a toutefois l'idée de faire d'Alan Grant un ermite sur Isla Nublar afin de continuer ses recherches. Une idée rejetée même si Grant reste le personnage principal du projet. Pendant un temps, il est question de citer le roman de Crichton Le Monde perdu en abordant la question d'un virus amenant à l'extinction des dinosaures de l'île. Finalement, le film ne se basera sur aucun des deux récits de Crichton et sera une histoire inédite avec des bouts inexploités des romans et scripts. 

Jurassic Park 3

Affiche réalisée par Patrick Connan.

Les réécritures s'accumulent avec une équipe de scénaristes (dont le réalisateur Alexander Payne) et Joe Johnston finit par arriver en tant que réalisateur. Bien que Johnston n'est pas considéré comme un grand réalisateur, il a au moins le mérite d'avoir signer quelques films marquants permettant de titiller l'intérêt : Chérie j'ai rétréci les gosses (1989), The Rocketeer (1991) ou Jumanji (1995). Si Spielberg le laisse faire, c'est aussi parce qu'il a signé la direction artistique des deux premiers Indiana Jones (1981-84), d'Always, mais aussi de la production Amblin Batteries Not Included plus connue chez nous sous le titre Miracle sur la 8ème rue (Matthew Robbins, 1987). Le réalisateur s'impose avec l'idée d'un dinosaure toujours plus gros nommé le Spinosaure. Pourquoi pas après tout ? Sauf que le Spinosaure n'est pas présent longtemps, souvent à travers des CGI faites à la va-vite (comme le film en fin de compte) et ne marque finalement pas longtemps le spectateur. C'est à peine si on peut citer la scène sous la pluie comme scène majeure avec le dinosaure. Si les différentes featurettes du DVD montrent une ambiance joyeuse pour une campagne promotionnelle à peine voilée, la réalité est en revanche bien moins glorieuse.

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Le film a tellement accumulé les réécritures que le script ne ressemble à rien, au point que des scènes ou même les personnages sont définis et écrits à même le tournage (ce qui n'a visiblement pas plu à Alessandro Nivola et on le comprend). Il y a également eu un accident avec un cascadeur lors du tournage de l'ouverture du film (le fils de William H Macy et Tea Leoni et son beau-père font du parachute ascensionnel à côté d'Isla Sorna) et un stock d'éclairages a fini à l'eau. A ce stade du tournage, il fut même question d'arrêter les frais. Bien que mécontent, Johnston termine Jurassic Park 3 (2001). On ne pourra pas lui en vouloir d'avoir été professionnel jusqu'au bout. Si le second opus avait fait moins que le premier, il avait toutefois des résultats plus que solides au box-office (plus de 600 millions de dollars de recettes). Jurassic Park 3 boit complètement la tasse avec à peine près de 367 millions de dollars de chiffres d'affaire. Une débandade qui se juge aussi par la qualité du film. Beaucoup dézinguent le volet suivant notamment sur sa nostalgie (on y reviendra), mais ce troisième opus tient à peine debout et se révèle être une véritable calamité. 

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Un casting à la dérive.

Johnston a essayé de meubler avec un projet qui ne tenait pas la route (on ne peut pas trop lui en vouloir d'avoir essayer) et qui se confirme au fur et à mesure qu'avance le film. Les acteurs se retrouvent globalement avec des rôles fonctionnels et dans l'incapacité de pouvoir faire quelque chose de potable avec des personnages aussi vides. Tea Leoni crie systématiquement et horripile, William H Macy et feu Michael Jeter se demandent ce qu'ils font là, Nivola ne semble pas du tout à l'aise et Sam Neill fait ce qu'il peut, jouant à fond son personnage même si on voit que la flamme n'est plus là. Laura Dern passe faire coucou, comme pour dire que son personnage est désormais une relique du passé de Grant. Elle ne sera finalement utile que pour le dénouement et encore, utile est un bien grand mot pour évoquer cet énorme foutage de poire. Le gamin (Trevor Morgan) n'est pas crédible une seconde : capable de survivre à des T-rex ou des raptors durant huit semaines, il accumule connerie sur connerie une fois qu'il est accompagné. C'est à n'y plus rien comprendre. La plupart des morceaux de bravoure ne fonctionne pas non plus, notamment par une tendance à privilégier le CGI aux animatroniques.

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On voit tout de suite la différence avec les deux précédents volets : tout sonne faux et pire encore, Jurassic Park 3 vieillit bien plus mal que ses aînés. Reste quelques animatroniques qui tapent à l'oeil comme dans la scène finale du spinosaure. Jurassic Park 3 s'impose à la fois comme l'épisode de trop et surtout comme un film qui aurait mieux fait de se produire plus tranquillement. Cela aurait évité bien des casseroles en plein tournage. L'idée d'un "Jurassic Park 4" arrive assez rapidement sur le tapis. Sam Neill est sollicité à nouveau et on parle également de Keira Knightley (l'actrice a le vent en poupe suite au succès du premier Pirates des Caraïbes). Johnston et Simon Wells sont évoqués à la réalisation. Mais au fil des années, pas grand chose ne se fait. Le designer Carlos Huentes a longtemps travaillé sur un concept où une société concurrente d'InGen aurait fait des dinosaures humanoïdes à base d'ADN d'hommes et de chiens (voir ci-dessous). Le but était de les dresser et d'en faire des armes (une thématique qui revient dans le projet final). Un projet vite avorté et ce n'est peut être pas plus mal. 

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Concept-arts réalisés pour le projet "Jurassic Park 4".

Suite à la mort de Michael Crichton et peu avant de Stan Winston, Kathleen Kennedy et Frank Marshall pensent un temps à ne pas produire une suite supplémentaire. Pourtant, le projet est relancé en 2011 sous le nom de Jurassic World. Spielberg reste producteur et le duo à l'origine du reboot de La Planète des singes (Rick Raffa et Amanda Silver) se retrouve propulsé scénaristes de la bête. Tout cela avant l'arrivée de Derek Connolly et du réalisateur Colin Trevorrow. Trevorrow vient juste de faire un petit film remarqué (Safety Not Guaranteed, 2012) et se voit propulser à la tête d'un blockbuster. Un schéma qui revient très souvent à Hollywood ces dernières années à l'image de Gareth Edwards (de Monsters à Godzilla) ou de Jordan Vogt Roberts (de The Kings of Summer à Kong Skull Island). Spielberg semble plus impliqué encore dans le processus créatif que sur le troisième opus, puisqu'il suggère au réalisateur de miser beaucoup sur les sponsors. Le but est de montrer le parc d'attraction le plus réaliste possible avec des marques omniprésentes cherchant l'attraction à parrainer. Une scène confirme cela : celle où Bryce Dallas Howard se retrouve face à trois investisseurs pour sponsoriser l'I-rex.

Jurassic World

Affiche réalisée par Patrick Connan.

Le mystère n'est même pas voilé, puisqu'on nous dit très rapidement que l'I-rex est une attraction qui plaira aux enfants et fera cauchemarder les parents. Le Dinosaure n'est plus un animal dans un milieu naturel, il est devenu une attraction vouée à toucher un public large qui repartira avec des souvenirs plein les yeux et des photos par centaines. Colin Trevorrow expose ce que disait l'avocat de Jurassic Park (Martin Ferrero), mais grandeur nature. On verra même des jeunes triceratops et brachiosaures chevauchés par des enfants comme s'ils étaient des poneys ! Le rêve de John Hammond est devenu réalité dans tous ses excès et sa démesure. Mais évidemment quand vous vous prenez pour Dieu (le généticien joué par BD Wong revient et ses intentions ont bien changé depuis Jurassic Park...), il faut en payer les conséquences. Notamment quand vous créez une créature mélangée à divers ADN histoire de faire grimper la fréquentation de votre parc. De la même manière, si Dennis et le neveu d'Hammond étaient les rois de la magouille foireuse autrefois, cette fois-ci c'est au tour de Vincent d'Onofrio de leur emboîter le pas. Son but est d'utiliser les raptors dressés par Chris Pratt pour pouvoir les utiliser à des fins militaires.

Jurassic World : Photo

Alors quand ça ne se passe pas comme prévu avec les principaux intéressés, on peut toujours faire sortir quelques embryons histoire de prolonger le désastre. Un autre aspect intéressant du film est de dire que le vieux est souvent meilleur que le nouveau, que le symbole de puissance d'autrefois vaut mieux que l'immondice fait à partir de son ADN. Ce qui vaut un affrontement old school fait avec beaucoup de CGI, mais qui fonctionne car Trevorrow (contrairement à ce qui a été dit depuis, le faisant souvent passer pour le dernier tocard made in Hollywood) sait jouer de la scénographie. Il dirige la scène en se focalisant sur différents points de vue à la fois, passant des humains à l'intérieur avant d'aller vers le T-rex, l'I-rex et les raptors dehors en sortant progressivement d'un magasin. Un travelling continu de plus d'une minute particulièrement bien fait. La position couchée de Bryce Dallas Howard avec le T-rex pour la défendre est aussi un autre clin d'oeil de la franchise à King Kong, puisque Fay Wray se retrouvait dans une position similaire sur l'Empire State Building avec le grand gorille. L'affrontement est d'ailleurs plus lisible que celui expédié et lamentable du T-rex face au Spinosaure dans le troisième film.

L'erreur de la nature repart là où elle aurait dû aller dès le départ (les abysses) et les vrais maîtres du domaine reprennent leurs droits. Trevorrow ne cherche pas à faire mieux que Spielberg. Il s'aide de son modèle afin de faire une sequel fidèle, sans toutefois la copier directement. Le clin d'oeil est plus présent que la répétition. D'autant qu'à ce niveau, le film s'aide d'une bonne contextualisation avant d'aligner les morceaux de bravoure (les attaques de l'I-rex, le bordel que cela entraîne dans le parc, un assaut de raptors qui dégénère et le climax). Beaucoup de blockbusters (notamment sortis la même année comme Avengers : Age of Ultron) n'ont pas cette saveur. Si le film a parfois des défauts irritants (les acteurs jeunes, l'omniprésence de la CGI face à des animatroniques quasi-inexistantes, le domptage des raptors à prendre ou à laisser), il est un bon divertissement estival qui fait largement le job. Il se révèle également un stand alone plus que crédible, malgré un élément en suspens. Jurassic World ayant été un des plus gros succès de l'année 2015 (il a été devancé par Star Wars : The Force Awakens au titre de plus gros succès de l'année), une suite s'avère inévitable.

Jurassic World: Fallen Kingdom : Photo

Trevorrow étant vite annoncé pour réaliser l'Episode IX de la saga Star Wars (ce qui n'arrivera finalement pas), il laisse sa place à JA Bayona tout en restant à la production et à l'écriture. Un temps prévu pour réaliser la suite de World War Z, le réalisateur de A monster calls s'est vite impliqué dans la production de Jurassic World : Fallen Kingdom. Néanmoins, si la patte du réalisateur se reflète plus d'une fois à travers une scène émouvante (l'éruption condamnant un brachiosaure) ou des scènes à suspense réussies (le climax fait la part belle au musée des horreurs), on a souvent l'impression de voir un film qui recopie ses aînés. Car si on a reproché à Jurassic World d'être trop proche de Jurassic Park, alors Fallen Kingdom ressemble énormément au Monde perdu jusqu'à faire revenir Malcolm pour un caméo absolument inutile.

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Fallen Kingdom se contente souvent de faire la même chose, sans avoir plus d'inspiration. Un constat qui se confirmera dans Le monde d'après où Trevorrow reprend les manettes (2022) et qui raconte là encore la même chose. Même la tentative de parler de choses déviantes comme le clonage humain est vite évacuée pour revenir à quelque chose de plus soft. Là où le final de Fallen Kingdom permettait plein de possibilités, Trevorrow se contente souvent de montrer les dinosaures dans le décor, voire de refaire un parc à travers un énième sanctuaire (au point de penser à cette célèbre réplique de Malcolm "Auriez-vous par hasard projeter d'avoir des dinosaures dans votre parc à dinosaures"). La scène dans le souk tient même de l'improbable avec des carnivores libérés facilement et la poursuite qui suit entre véhicules et dinosaures ne fait qu'accentuer le ridicule du film. Les vieux de la vieille ne sauvent pas non plus le film, se contentant d'être la caution fan-service face à des personnages de la seconde partie de la franchise inintéressants et dont l'intérêt ne se sera porté que sur un seul film. 

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Le portrait d'Alan Grant est ainsi désastreux, le paléontologue en revenant à faire les yeux doux à Ellie durant tout le film, avant que les deux ne se tombent dans les bras. Pas que des personnages vieillissant n'ont pas le droit de trouver l'amour à leur âge. Juste que cela semble ridicule et mal amené dans le film, avec des acteurs qui ne semblent pas à l'aise. On passera aussi sur le climax qui reproduit celui du quatrième film et la mort d'un personnage est identique à celle de son ancien acolyte. L'aventure Jurassic World se présente comme un sacré gâchis qui aurait mieux fait de se contenter d'un seul film. 

  • La liste de Schindler (1993) : Le sacre de Steven Spielberg

La liste de Schindler

Nous sommes le 21 mars 1994. Après des années de snobisme, Steven Spielberg obtient son premier Oscar du meilleur réalisateur et par la même occasion le seul qu'il obtiendra pour le meilleur film. Sept Oscars au total pour un film qui lui est particulièrement personnel. Il faut toutefois revenir aux 80's pour trouver les origines du projet. Tout part d'un livre de Thomas Keneally repéré par Sid Sheinberg, le patron d'Universal. Le roman évoque l'existence d'Oskar Schindler, industriel allemand et adhérant du parti nazi ayant sauvé plusieurs centaines de juifs de la déportation au cours de la Seconde Guerre Mondiale. A l'époque de l'écriture, Poldek Pfefferberg, une des personnes sauvées par Schindler (il est incarné par Jonathan Sagalle dans le film), avait sollicité les studios sans trouver preneur. Keneally se met alors au travail et le livre reçoit un excellent accueil à sa publication en 1982, d'autant plus qu'il évoquait un aspect peu connu de cette sombre période du XXème siècle. Sheinberg voit un potentiel chez Spielberg pour l'adapter au cinéma, mais ce dernier dit qu'il n'a pas encore la maturité nécessaire pour un tel projet. 

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Steven Spielberg accompagné de sa mère Leah Adler et de sa femme Kate Capshaw lors de la cérémonie des Oscars en 1994.

Entretemps, le réalisateur s'exerce sur des films plus dramatiques le changeant des divertissements réalisés jusqu'à présent : La couleur pourpre (1985) et Empire du soleil (1987). Spielby sollicite Roman Polanski, mais ce dernier préféra se focaliser sur Le pianiste qu'il finira par réaliser en 2002. Steven Spielberg est juif tout comme Polanski, mais il n'a pas connu l'Holocauste (sa famille est en Amérique depuis le début du siècle). Son intérêt pour le drame viendra au fil du temps, que ce soit par ses parents, des documentaires ou des témoignages entendus. Martin Scorsese, catholique lui, se révèle intéressé durant un temps, mais pense qu'un réalisateur juif sera plus à même de mettre en scène un tel film. Spielberg reprend la main avec le scénariste Steve Zaillian (American Gangster) approché à l'époque par Marty. Le réalisateur veut un script plus long que celui précédemment rédigé par le scénariste, afin de bien montrer toutes les étapes des plans d'extermination des nazis ("je ne pouvais montrer tout cela dans un film d'une heure et cinquante-deux minutes"). 

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Dans un premier temps, Zaillian fait de Schindler un héros de cinéma, ce qui sera vite écarté pour montrer un personnage plus ambigu. Le film est tourné en noir et blanc en dehors de trois séquences : les bougies qui débutent le film, la scène de la petite fille au manteau rouge (Oliwia Dabrowska) et le final hommage. La petite fille était importante car c'est à ce moment du film que Schindler (Liam Neeson) comprend ce qui est en train d'arriver aux Juifs. En filmant la petite ainsi, Spielberg montre un petit point de couleur nageant dans un océan de terreur et de mort avant qu'elle ne soit elle aussi tuée. Pour Spielberg, ce passage a toutefois une autre signification. "J'ai filmé cette petite fille en couleur pour montrer que certains cercles très restreints étaient au courant de l'Holocauste : assurément, Roosevelt et Eisenhower savaient. (...) Ce qui se passait [en Europe] crevait autant les yeux qu'une petite fille en manteau rouge, et pourtant on ne fit rien pour bombarder les lignes de chemins de fer allemandes, pour détruire les fours crématoires ou freiner l'annihilation à l'échelle industrielle des Juifs européens." Après la sortie du film, Spielberg n'hésitera pas à fonder une association recueillant divers témoignages autour de la Shoah, la Shoah Foundation Institute for Visual History and Education

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Une nécessité selon lui et la confirmation que ce film lui a en quelques sortes ouvert les yeux. De la même manière, le réalisateur refusera d'être payé pour ce film, évoquant que ce serait "le prix du sang". Toujours en parlant de photographie, ce film signe la première collaboration entre Spielberg et Janusz Kaminski. Le réalisateur et le chef-opérateur ne se quitteront plus jamais par la suite. Il est bon aussi de souligner qu'à cette même époque Stanley Kubrick travaillait sur "The Aryan Papers". Kubrick était un perfectionniste, ce qui nécessitait parfois un temps de conception très long. C'est aussi pour cela qu'il n'a rien tourné entre Shining (1980) et Full metal jacket (1987) et ensuite entre ce film et Eyes wide shut (1999) qu'il ne verra pas fini. Cherchant un récit autour de la Seconde Guerre Mondiale, il met alors l'accent sur le roman semi-autobiographique de Louis Begley Une éducation polonaise (1991). Il met en scène deux juifs (une femme et son neveu) qui ont échappé aux camps de la mort en ayant de faux-papiers aryens et en se faisant passer pour catholiques. Le réalisateur avait fait des repérages en Slovaquie et en République Tchèque et il avait choisi son actrice principale : Johanna ter Steege. 

L'actrice est liée au drame de l'Holocauste, puisque ses grands-parents avaient caché des juifs aux Pays Bas et des membres de sa famille étaient dans la résistance. Des costumes sont préparés, ils seront d'ailleurs montrés, ainsi que des photos et vidéos des essais dans une exposition survenue en 2009 ("Unfolding The Aryan Papers"). Kubrick s'arrête en 1993 quand La liste de Schindler s'apprête à sortir. Selon le réalisateur, le public n'aurait pas pu supporter deux films sur l'Holocauste en si peu de temps, évoquant notamment que la concurrence de Platoon (Oliver Stone, 1986) l'avait gêné sur Full metal jacket. Kubrick ne sera pas tendre avec le film de Spielberg : "Vous trouvez que ça parle de l'Holocauste ? Ça parle du succès oui ! L'Holocauste, c'est l'histoire de six millions de personnes que l'on tue. La liste de Schindler parle de 600 personnes que l'on ne tue pas." Toutefois, le réalisateur ne l'aura pas longtemps mauvaise avec son collègue, puisqu'ils ont collaboré ensemble sur AI (2001). Kubrick décédé entre temps, Spielberg en a fait son film en le lui dédiant. La liste de Schindler est un film qui fait mal au ventre, le plus difficile à voir (ou revoir) de la filmographie du cinéaste et qui met mal à l'aise durant plus de trois heures. 

La Liste de Schindler : Photo

Bénéficiant d'un classement Restricted (le premier du réalisateur), Spielby peut montrer l'horreur nazie dans toute sa "splendeur" avec des exécutions en pleine rue ou dans des camps, la nudité forcée pour les Juifs (et l'humiliation qui va avec), les violences physiques pour les "plus chanceux", une déportation involontaire... Parmi les scènes les plus radicales, on notera l'assaut nocturne du ghetto sur fond de Bach pour couvrir les multiples coups de feu. Spielberg met en scène deux personnages particulièrement ambigus, jouant de leurs failles et de leur complexité. Le premier est bien évidemment Schindler. Son introduction montre toute sa singularité. Le personnage se fait bien voir de membres du parti nazi, afin de faire des affaires avec eux. Cela passe par des pots de vin, des produits difficiles à trouver (qu'il trouve ironiquement chez des juifs) et une tendance à paraître comme un bon vivant aux yeux des nazis. C'est le départ d'une grande entreprise largement alimentée par la guerre. Il voit le monde à travers le profit plus qu'humainement dans un premier temps, ce qui rend son changement de raisonnement aussi impressionnant. 

La Liste de Schindler : Photo Liam Neeson

A partir de la vision de la petite fille, il comprend enfin ce qu'il se passe vraiment pour les Juifs et comme il en emploie dans son usine ou collabore avec eux, Schindler voit l'opportunité de les sauver tout en se faisant de l'argent grâce à leur main d'oeuvre. Une complexité que Spielberg arrive bien à retranscrire à travers la performance forte de Liam Neeson (son premier rôle majeur en dehors de Darkman à l'époque), ne faisant jamais de lui un véritable héros malgré une émergence héroïque au fil du film. Le réalisateur met également l'accent sur sa relation avec son associé juif Itzhak Stern (Ben Kingsley), au point que Schindler le sauve plusieurs fois. Il apparaît comme un confident et en soi l'initiateur d'un miracle (la fameuse liste). C'est à lui que l'on doit la réplique : "Quiconque sauve une vie, sauve le monde entier ". Une réplique qui représente le film à elle seule devant un Schindler en larme (le spectateur l'a parfois devancé), évoquant qu'il aurait pu en sauver beaucoup d'autres... Autre grand personnage complexe qu'est Amon Göth (Ralph Fiennes). Là aussi un personnage bel et bien réel, surnommé "le boucher d'Hitler".

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L'une de ses premières apparitions est frappante : il est dans un camp, se lève, allume une cigarette, tire sur divers juifs au sniper et va pisser. La scène est filmée comme un élément du quotidien, comme s'il faisait ça tous les jours. Lui aussi a un beau paradoxe : il aime une prisonnière juive (Embeth Davidtz). A la différence que Göth n'assume pas et finit par devenir violent avec la jeune femme.  Ralph Fiennes signe une performance horrifiante, sorte de croquemitaine imprévisible pouvant vous tirer une balle dans la tête devant tout le monde avec un naturel hallucinant. Mila Pfefferberg, une autre survivante, avait cru revoir le vrai en croisant Fiennes sur le plateau. Le choc n'en fut que plus grand. La musique est probablement une des plus poignantes de John Williams, largement alimentée par le violon d'Itzhak Perlman. Toute la tristesse et la misère d'une époque symbolisées par la musique. Le noir et blanc accentue le cauchemar ambiant, au point de rendre le film terriblement froid.

Kaminski en fera une de ses qualités (certains diront un défaut) qu'il expérimentera dans des crus comme Il faut sauver le soldat Ryan, Minority report (2002) ou La guerre des mondes avec succès. La dernière séquence est symbolique, montrant ceux qui ont été sauvé par Schindler en train de déposer des pierres sur sa tombe avec parfois l'acteur qui les incarne dans le film. La seule scène qui sort du cadre de la fiction biographique. Là où chez d'autres réalisateurs cet élément aurait pu être très mal vu, ici le spectateur assiste à un véritable moment d'émotion. La réalité a dépassé la fiction pour mieux rappeler que dans l'horreur la plus totale, de bonnes choses peuvent arriver.

  • 1997 : Une année historique entre esclavage, dinosaures et nazisme

Amistad

Après le second volet de la franchise Jurassic Park, Steven Spielberg se lance directement dans Amistad. Il s'agit d'un projet évoquant une mutinerie d'esclaves survenue en 1839 sur un bateau espagnol nommé La Amistad. Les esclaves veulent retourner en Afrique, mais les marins survivants se jouent d'eux et les mènent vers l'Amérique. Une fois près des côtes, ils sont arrêtés pour meurtre et jugés lors d'un procès où l'ancien président des USA John Adams a fini par prendre position en plaidoyant pour eux. Ils ont finalement été acquitté et trente-deux d'entre eux sont repartis en Afrique. Le film aura beau être nommé aux Oscars, la première production Dreamworks avec Spielberg aux commandes est un flop commercial (44 millions de dollars récoltés aux USA pour 36 millions de budget). Le film est encore peu considéré aujourd'hui et se fait raillé à l'époque par les historiens évoquant des grosses ficelles. Le film est d'ailleurs parodié au cours du film Scary Movie (Keenen Ivory Wayans, 2000) avec une fausse bande-annonce pour une suite lorgnant fortement vers un Titanic sous coup de fouet (voir https://www.youtube.com/watch?v=Cau_oshv8_A). Amistad est en réalité un film bien plus intéressant que Lincoln (2012) sur un sujet intimement lié. 

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Amistad se termine là où Lincoln commence, à savoir la Guerre de secession. C'est de ce type d'événements ayant mené à la guerre civile américaine dont parle Amistad. Derrière son côté procedural un brin bavard et académique, Spielby met l'accent le plus possible sur les esclaves qui sont le moteur du récit. Le procès permet de voir les magouilles effectuées par plusieurs pays européens (notamment l'Espagne encore un royaume à l'époque) pour perpétuer le commerce triangulaire au XIXème siècle. Si le film se révèle finalement plutôt calme ou à la rigueur fougueux dans l'éloquence de ses acteurs lors des nombreuses scènes de procès, Spielby se veut radical quand il aborde directement le sort des esclaves sur la bateau. L'ouverture se révèle déjà fracassante avec des esclaves dézinguant leurs oppresseurs dans une fougue sans faille. Toutefois, Spielby assène le coup de grâce avec ce flashback évoquant directement la traite des noirs en Afrique et les tueries qui suivent (certains marchands balançaient à la mer ou tuaient des esclaves qu'ils avaient en trop). 

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Le réalisateur se veut cru et aussi radical dans ces scènes que dans La liste de Schindler et c'est peut-être ce type de scènes marquantes et fortes qui manque dans Lincoln. Lui aussi se révèle plutôt verbeux, mais les enjeux sont bien mieux mis en scène ici. Si Spielberg accepte de réaliser Il faut sauver le soldat Ryan, c'est en grande partie pour son père. Arnold Spielberg s'était engagé en 1942 dans le corps des transmissions, avant de devenir chef des communications sur des avions B-25. "Je lui avais promis des années auparavant que je tournerai un film sur la Seconde Guerre Mondiale." dira son fils Steven. Après avoir vu le film, le père et le fils ont eu une discussion assez cocasse : "Où est la 490ème escadrille de bombardiers ? Où sont ceux qui ont fui le bourbier, où sont mes amis disparus ? -C'est vrai, je n'ai pas raconté cette histoire-là, mais le film s'adresse à ta génération.". Il faut sauver le soldat Ryan est un film de fiction au contraire d'Empire du soleil et de La liste de Schindler qui revenaient sur des faits malheureusement bien réels, mais il s'inspire de l'histoire des Niland, famille où les quatre fils étaient engagés dans le conflit.

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Deux d'entre eux sont morts au combat, un était porté disparu (il sera finalement retrouvé dans un camp de prisonniers japonais en Birmanie) et le dernier toujours vivant. Il fut alors décidé que le dernier revienne à la mère patrie pour éviter à la famille Niland d'enterrer ses quatre fils. Le film reprend ce principe avec une escouade chargée de ramener le dernier fils Ryan au pays (Matt Damon). Le film se fait toutefois épinglé plusieurs fois par la presse et des historiens pour des erreurs historiques, à l'image de plaques d'immatriculation postérieures, des obstacles mal placés, des modifications d'engins ou même les positions des nazis. Si cela n'empêchera pas le film d'être un succès fracassant (481 millions de dollars de recettes pour 70 millions de budget), il sera vite court-circuité par Harvey Weinstein et son poulain Shakespeare in love (John Madden, 1998) dans la course aux récompenses. Il semblerait que la campagne de dénigration du film de Spielby soit en partie dû à ce bon vieux Harvey, jamais avare en coups tordus et en lobbying sauvage lors de la saison des récompenses. Le plus ironique est que le film qu'il produit est probablement encore pire au niveau des divergences historiques. 

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Steven Spielberg recevant son second Oscar du meilleur réalisateur le 21 mars 1999.

Shakespeare in love rafle sept Oscars (dont meilleur film) face à Il faut sauver le soldat Ryan qui en récolte cinq. Des statuettes principalement techniques (meilleurs photographie, montage, son et mixage son), mais une ressort : celle du meilleur réalisateur. En pleine tempête, Spielberg a tout de même récupéré son deuxième Oscar en tant que réalisateur. Un mal pour un bien. Il faut sauver le soldat Ryan marque la première collaboration entre Spielberg et Tom Hanks. Celui qu'il considère comme l'équivalent de James Stewart "représente sans aucun doute [sa] meilleure expérience de collaboration avec un acteur". Le début d'une longue collaboration, que ce soit au cinéma (Arrête-moi si tu peux, Le terminal, Bridge of spies et The Post) ou à la télévision (ils ont produit les séries Band of brothers et The Pacific). Le réalisateur s'en veut néanmoins d'avoir pris du plaisir à tourner ce film, là où il ressentait un véritable malaise avec La liste de Schindler. S'ils sont graves tous les deux et se situent à la même période, Schindler et Ryan n'ont rien à voir ensemble et le second correspond davantage à un film de guerre dit classique avec ses soldats sur le front. 

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Pas mal des acteurs du film (dont Vin Diesel, Edward Burns, Giovanni Ribisi et Hanks) ont suivi un entraînement intensif, permettant ainsi un plus grand réalisme lors des assauts purement guerriers. La véritable scène d'ouverture (donc pas celle où Ryan se rend au véritable cimetière américain de Colleville-Sur-Mer) en est la preuve, au point d'enterrer les 3h02 du Jour le plus long (1962). Si les autorités normandes n'ont pas voulu qu'il tourne sur les lieux mêmes, il le fit finalement en Irlande pour un résultat aussi fort. Spielby ne fait aucun cadeau aux soldats débarquant à Omaha Beach. Certains se font accueillir avec une balle en pleine tête, certains perdent leurs bras, leurs jambes, les organes sortent des corps, d'autres brûlent... La scène du débarquement reste encore un modèle dans le film de guerre plus de vingt ans après de par sa violence graphique et l'impact psychologique qui s'en dégage. Pour mieux montrer le chaos ambiant, Spielby ose même faire des plans où Hanks est au centre de l'attention et perd l'audition durant un bref instant (aspect réutilisé sur pas mal de films par la suite). L'occasion de voir l'horreur qui l'entoure. 

La bataille finale sera du même niveau, confrontant les soldats américains aux nazis avec des morts de chaque côté, si bien que l'on se demande qui a gagné avant l'arrivée des avions. A la différence que cette fois-ci nous connaissons les personnages, ce qui augmente l'impact émotionnel. Si Spielby est un peu moins trash sur cette bataille, il n'en reste pas moins cruel à l'image de la mort de Mellish (Adam Goldberg) au corps-à-corps avec le nazi que ses camarades et lui ont libéré plus tôt dans le film (Joerg Stadler). Il faut sauver le soldat Ryan bénéficie également d'un groupe d'acteurs fort et de personnages que le réalisateur va caractériser le plus possible. Certains par des souvenirs d'enfance, d'autres par leurs actions pas toujours très héroïques ou déplacés. A ce propos, les cas Mellich et Upham (Jeremy Davies) sont assez édifiants. Le premier en viendra à pleurer de honte après avoir dit qu'il se servira d'un couteau nazi pour le chabbat. Le second en viendra à laisser partir le dernier soldat d'une unité dégommée par ses camarades. Il pleurera lui aussi de honte après avoir laisser partir le même homme en perdant ses moyens, avant de le tuer pour l'exemple devant les autres soldats nazis. Le cas du capitaine Miller (Hanks) est également intéressant.

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On nous le présente comme un homme droit avec des principes et très professionnel. Mais Miller est comme les membres de son unité : humain. Alors au bout d'un moment, il lâche prise. Ce qui donne une scène émotionnellement forte, où le soldat valeureux s'effondre complètement face à la mort poisseuse qui l'entoure depuis qu'il est arrivé en Normandie. Comme s'il avait tout le poids de la guerre sur ses épaules. C'est là où l'on voit tout le talent de Tom Hanks pour humaniser ses personnages, même dans des situations incontrôlables. Spielberg a peut-être mal commencé la décennie, mais il l'a très bien fini.


Article initialement publié le 11 novembre 2012.

Sources:

  • Mad Movies Hors Série numéro 18 (décembre 2011).
  • Steven Spielberg: une rétrospective (Richard Schickel, 2012)
  • Les plus grands films que vous ne verrez jamais (Simon Braund, 2013)
  • http://www.ecranlarge.com/article-details-28427.php
  • http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18357211.html
  • http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/PHOTOS-Jurassic-Park-4-failli-montrer-des-mutants-humains-dinosaures-avec-des
  • http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/OSCARS-2012-Ils-ont-gagne-des-dizaines-dOscars-et-personne-ne-les-connait
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Commentaires
B
Tout à fait et en effet Spielberg joue beaucoup des alliances qu'a pu faire Schindler des deux côtés (le fameux passage dans la synagogue).
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A
à borat : de toute façon, pour faire à la fois partie des nazis et sauver des Juifs des camps de la mort, cela souligne forcément une contradiction majeure. Spielberg met d'ailleurs en exergue tout le cynisme de ce personnage, surtout au début du film
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B
C'est ce qu'il y a de fascinant dans ce film. Comme dit dans l'article, Schindler était dans une première version beaucoup trop lisse, limite un héros classique. Spielberg avait insisté pour que ce soit beaucoup plus nuancé.
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A
à borat : et surtout cette recherche d'impartialité
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B
Il y a malheureusement des images similaires dans les deux films et avec le même impact émotionnel.
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