Passé, présent, futur, tout est lié
1849: Adam Ewing part vers des îles du Pacifique tout en tombant malade. Il se lie avec un esclave noir, ayant embarqué clandestinement sur le bâteau. 1936: Robert Frobischer part aider un compositeur ne pouvant plus faire de partition. 1973: La journaliste Louisa Ray enquête sur la mort de Robert Sixsmith, impliqué dans un scandale nucléaire. 2012: Timothy Cavendish se retrouve malgré lui dans une maison de retraite où il va essayer de s'évader. 2144: Un clone et un agent de la rebellion essaye de s'enfuir d'une société inhumaine. 2321: Une bande de cannibales sévit sur une île et une femme essaye de trouver les vestiges de la civilisation. Toutes ces histoires aussi différentes soient-elles sont toutes liées...
Après un Speed Racer de sinistre mémoire et une production pour le moins foireuse (le déjà oublié Ninja Assassin), revoilà les Wachowski cette fois-ci accompagné par Tom Tykwer (l'excellent Parfum mais aussi le très poussif Cours Lola, cours). Cloud Atlas, comme le prouve le synospis présent ci-dessus, est pour le moins compliqué à raconter ou tout de moins comporte six segments bien distincts sur différentes époques. Sauf que comme pour The Fountain, les différents récits sont imbriqués ensemble. Une tentative casse-gueule qui peut très bien divisé le public. C'est d'ailleurs ce fossé entre critiques qui renvoie justement au film de Darren Aronofsky: Soit on aime, soit on n'aime pas, c'est rare de trouver des avis réellement mitigés, mais le film ne laisse pas indifférent. C'est une tentative de cinéma original comme on voit actuellement rarement, car malgré que ce soit une adaptation d'un roman, il n'a rien de facile à adapter. Cloud Atlas a beau avoir un budget conséquent, ça ne l'a pas empêché de subir un flop dramatique aux Etats Unis. Mais curieusement dans le monde, le film semble trouver son public et notamment en Russie et en Chine (et cela malgré de grosses coupes!). On parle quand même d'un film qui rassemble six histoires différentes, tout en marquant des liens entre les sketchs.
D'autant que Tom Hanks, Hugo Weaving, Jim Sturgess, Halle Berry, Jim Broadbent, Doona Bae, Ben Whishaw, James D'Arcy, Keith David, Susan Sarandon, Hugh Grant et David Gyasi jouent jusqu'à six personnages. Des acteurs grimés de différentes manières selon les périodes bien évidemment. D'autant que les réalisateurs se donnent à certaines excentricités. Hanks se retrouve avec de la barbe affriolante, puis avec une moumoute blonde improbable, puis crâne rasé et enfin tatoué au visage; Hugh Grant passe du vieux schnock au cannibal; Sturgess du hooligan écossais à un coréen; Weaving d'une infirmière à un tueur à gage; et Halle Berry d'une esclave à une journaliste! Comme je le disais plus haut, les histoires ne sont pas développé séparement mais en même temps. Ce qui peut apparaître comme terriblement portnawak, d'autant que l'on peut passer de 2321 à 1936 d'une minute à l'autre. Sauf que cela marche de bout en bout, le montage étant plus que cohérent. Selon les événements et la gravité, le film y gagne en dynamisme sans jamais perdre son spectateur. Les images s'entrechoquent selon les époques, mais incroyablement elles se complètent. (attention spoilers) Que ce soit sur l'émotion du moment (Sonmi découvre l'horreur de l'abattoir et Zachary voit les restes de son clan aussi impuissants soient-ils) que de l'action. De plus, la musique, notamment composée par Tykwer ne change pas selon les segments, permettant une osmose totale avec les images. Une sorte d'opéra filmique magnifique.
En fait, le film se relie toujours grâce à un personnage. La première est vraisemblablement à part, bien que des éléments lui permette de correspondre avec le segment en 2144 (rebellion, esclave d'une société méprisable), mais tous les autres segments se relient par au moins un personnage.Ainsi, Sixsmith est présent dans les segments de 1936 et de 1973 et est le fil conducteur de ce dernier. Le petit présent dans le segment 1973 est l'auteur d'un polar que lit Timothy dans le sketch suivant. Dans le segment de 2144, on peut voir Sonmi regarder l'adaptation du roman de Timothy. Elle sera ensuite la divinité présente dans le dernier segment. Le montage d'ailleurs joue bien sur le fait de voir ce qui peut se passer après les éléments et finalement d'avoir une sorte de flashforward, sans jamais que cela entache l'intrigue. Surtout que ce ne sont pas de grands liens qui se tissent entre les histoires, permettant ainsi de garder un vrai univers propre à cela. D'autant que l'on passe d'un univers à l'autre. Le premier, peut être le moins passionnant à mon humble avis, est surtout l'occasion de voir Tom Hanks dans un rôle de méchant un brin foufou. Le crime parfait en pleine mer sous fond d'esclavage. Pas mal mais peut mieux faire. En revanche, la seconde se révèle plus intéressante mettant en scène un homosexuel devenant compositeur pour un vieux musicien. Une histoire où la trahison est complète et le drame finalement total comme en témoigne le final d'une profonde tristesse.
Une histoire de nègre de la musique qui rappelle étrangement les histoires d'Alexandre Dumas. Sans le côté machiavélique au possible par contre. Le suivant le surclasse encore une fois. Déjà parce que l'aspect polar est bien respecté et va totalement avec cette époque bouffé par les scandales mêlant la CIA comme le Watergate (on pense indéniablement aux Hommes du président). Cela tombe bien, Halle Berry incarne une journaliste qui enquête sur un scandale impliquant une société travaillant dans le nucléaire. D'autant que la miss est suivie par un tueur à gage qui manque de la tuer dans un plan-séquence de descente vertigineuse pour le moins fantastique. La suite est en numérique (le mec des effets-spéciaux chez Buf en témoigne ce mois-ci dans Mad Movies, je devrais me faire payer à force de citer des sites ou magazines!), mais rien que ce passage est franchement sensationel. La traque également donnant lieu à un excellent suspense, Weaving jouant également sur un humour noir savoureux dans la scène avec l'immigrante. Le segment mettant en vedette Jim Broadbent tourne autour de la comédie. Déjà cela permet de voir Tom Hanks dans un rôle détestable mais surtout caricatural. Le voilà en auteur qui balance par la fenêtre un critique! Aidé par un classement Rated, les réalisateurs peuvent montrer du sang et ainsi montrer un atterisage pour le moins étonnant et rapide!
Néanmoins le ton gore sera évité par la suite, puisque Broadbent sera piégé par son frère incarné par Grant qui le met dans une maison de retraite. Vol au dessus d'un nid de coucou chez les vieux, ça vous tente? Telle est la thématique de ce segment, le plus sympathique de tous aussi. On a indéniablement de la sympathie pour ces petits vieux aussi bien que pour les internés du film de Milos Forman. D'autant que Weaving s'avère monstrueux en homologue de Louise Fletcher. La séquence du bar est d'ailleurs un beau bordel qui me rappelle la scène de la choucroute de Zazie dans le métro de Louis Malle. Les deux derniers opus augurent un virage vers la science-fiction, voire l'anticipation. Sonmi est un clone parmi tant d'autres servant dans un café et se nourissant de savon. Peu de temps après la mort d'une de ses "amies" (séquence pour le moins dramatique et franchement bien vu, entamant sur une rébellion impossible selon des règles qui rappelle étrangement celles d'un certain Isaac Asimov), un agent de la rébellion finit par la sortir de ce monde froid, conformiste (tous les modèles se ressemblent!) et voué à l'autodestruction. Les Wachowski reviennent donc à une SF froide (on est vraiment très loin de l'univers ultra gentillet et coloré de Speed Racer!), montrant un monde rappelant malheureusement Blade Runner et Soleil Vert.
Le premier pour les effets de lumières colorées rappelant les écrans multiples; la scène dans les quartiers pauvres renvoie à la mort de la femme aux serpents; et la traque vaine des répliquants ici avec des clones. Pour le second, c'est indéniablement le recyclage des clones devenant de la viande pour clones qui y renvoie. Les fusillades sont pour le moins spectaculaires (on pense aussi bien à celle qui sert d'acte final que pour celle sur le pont entre les deux immeubles), tout comme cette poursuite dans Neo Séoul, montrant que ce passage est peut être le plus abouti visuellement et un des plus passionnants aussi, malgré ses références. Le personnage de James D'Arcy renvoie dans un certain sens à Ducard, même si le personnage de Sturgess (l'amant libérateur) s'y prête aussi. Il semble plus comprendre un clone que les autres êtres humains. Néanmoins, le sketch final ne déroge pas à la règle avec ses élans sanguinolants et sa montagne satellite en forme de fleur se dépliant pour envoyer un signal. Dans cette histoire, l'Homme est revenu à un état primitif au point de baragouiner (imaginez Forrest Gump avec dix-sept ans de plus!) et de revenir aussi à ses états primaires (le cannibalisme symbolisé par un Hugh Grant glaçant au possible). Le twist final s'avèrera assez cocasse, puisqu'un clin d'oeil à La Planète des singes.
Attention tout de même, il n'y a rien à voir avec une quelconque statue mais sur le principe même du twist présent, on peut y voir une référence au chef d'oeuvre de Pierre Boule. (fin des spoilers) Les acteurs s'en sortent très bien même si certains ne sont pas toujours bon selon les rôles (Hanks surjoue son rôle d'écrivain, sorte de gros bourrin bien graveleux et sa perruque blonde oh purée!). Oui même Halle Berry qui s'avère réellement impeccable ou Hugh Grant souvent en salaud pour notre plus grand plaisir (j'ai parlé du rôle de l'anthropophage, mais son rôle de frère de Broadbent est vraiment d'un jouissif, surtout dans la scène du téléphone). Le film a beau être bourré de scènes comiques ou spectaculaires, c'est surtout l'émotion qui gagne. On a souvent critiqué aux Wachowski d'avoir fait quelques moments de pseudo-émotions, notamment sur la trilogie Matrix (la mort de Trinity finalement expédiée, idem pour Neo finalement), au profit du spectaculaire. Mais là, non seulement on en a plein la vue mais le film est romantique sans jamais être bourratif. Que ce soit cet homosexuel pleurant son amant mort ou ce clone tué pour la postérité, l'effet n'est pas artificiel. On peut donc dire qu'en plus d'être plus ambitieux que leur trilogie, les Wachowski ont aussi signé leur meilleur film ou tout du moins le plus abouti. En sachant que Tykwer n'est pas non plus à oublier puisqu'il a réalisé trois sketchs et notamment le polar et le comique. D'ailleurs, il permet dans le second chapitre une belle performance pour son fétiche Ben Whishaw.
Plus de dix ans après Matrix, les Wachowski accompagné par Tom Tykwer prouve qu'ils ne sont pas les réalisateurs d'un seul film et signe un film ambitieux au montage dantesque et aux styles différents salvateurs.