Noé sauvé des eaux
Noé doit construire une arche afin de préserver sa famille et les animaux d'un déluge en devenir. Mais les enfants de Caïn ne sont pas de cet avis...
La Bible semble revenir sur le devant de la scène depuis quelques temps. Déjà avec la série La Bible qui sera diffusé ce week end sur W9 et dont une version épurée concentrée sur le Christ a eu son petit succès en salle. Puis avec Noé de Darren Aronofsky et en décembre prochain ce sera Exodus de Ridley Scott. L'épisode de l'arche de Noé a été très exploité pendant un certain temps, mais peu de spectateurs connaissent ces films. On retiendra le premier film de Michael Curtiz, la Silly Symphonie des studios Disney ainsi qu'une production en volume et d'un sketch dans Fantasia 2000; et John Huston l'avait incarné dans son film La Bible au commencement alors qu'il voulait Charlie Chaplin (qui ne voulait pas jouer dans un film qu'il ne réalise pas). Néanmoins, Aronofsky, même s'il conserve les aspects bibliques, réalise surtout une adaptation de son propre comic-book car une nouvelle fois, il a opté par cette case pour avoir au moins une trace si le projet ne se faisait pas (ce qui nous aurait bien plu pour son Robocop) comme à l'époque de The Fountain (2006). C'est seulement après le succès de Black Swan que le réalisateur revient à Noé avec cette grosse production de 130 millions de $ produit par la Paramount. Néanmoins, au cours de la post-production les deux camps vont commencer à se bouffer par voies interposées.
D'abord au sujet de projections-tests qui n'auraient pas fonctionner et la Paramount a voulu reprendre la main sur le montage. Ce qui fonctionna pas et cet épisode fut pendant toute la promotion du film un amusement pour le réalisateur (dans le numéro 5 du magazine Popcorn, à la question "Il y a eu beaucoup de rumeurs sur vos rappots tendus avec le studio Paramount et votre lutte pour le final cut. C'était exagéré?", il a répondu: "Les choses vont pour le mieux... maintenant. La route a été longue, mais tout est bien qui finit bien. Dans ce genre de situations, cinéaste versus studio, cela se termine souvent bien pire que ça. Mais c'est bien mon director's cut que vous pouvez voir en salles."). Ensuite, le film fut interdit dans plusieurs pays et notamment au Moyen-Orient en raison que Noé, qui est une figure importante de la Bible, ne pouvait être représenté graphiquement ou physiquement. Ce qui en soit n'est pas un vrai problème mais tout bonnement logique. A vrai dire, la première heure laisse quelque peu sceptique. On nous sort tout pour nous mettre en condition: écritos entrecoupés d'images fortes (que ce soit le serpent qui corrompa Adam et Eve, ainsi que Caïn tuant son frère Abel), flashback montrant l'assassinat du père de Noé, puis après une très longue exposition. Voir Noé en mode écologiste pourquoi pas, mais reste que tout ceci dure un peu trop longtemps notamment quand Noé (Russell Crowe toujours bien comme il faut) vous sort son petit cours de botanique.
Pareil pour Anthony Hopkins qui incarne un Mathusalem pour le moins concilliant et gentillet qui fait le bonheur autour de lui et veut juste manger des baies rouges. On nous présente aussi sa famille avec sa femme (Jennifer Connelly parfaite en femme forte aux sérieuses convictions), ses trois enfants (Douglas Booth, Logan Lerman quelque peu irritant et Leo McHugh Carroll) et une jeune fille qu'il a retrouvé souffrante et qui tombera amoureuse de son fils aîné (Emma Watson forçant un peu trop sur les pleurs, au risque d'agacer). De cette première partie, on ne retiendra finalement que la beauté des décors bruts de l'Islande et surtout les Veilleurs, anges banis de Dieu (ou plutôt le Créateur comme dit dans le film) pour avoir voulu sauver les Hommes suite à l'exil forcé d'Adam et Eve. Plus que bibliques, Noé s'impose avec ces personnages rocailleux et difformes comme éléments mythologiques. D'autant que le réalisateur ne donne pas de période précise concernant ce passage de la Genèse, un passage rapide ne montrant même un soldat ou un agent du GIGN se faisant tuer par une autre personne en mettant en parallèle l'assassinat d'Abel. Des effets rapides qui ne sont pas toujours convaincants, à cause du fait qu'ils soient trop rapides justement. Un peu plus posé cela n'aurait pas été un mal, d'autant qu'il faut vraiment avoir l'oeil pour tout saisir. Ce n'est qu'à partir de la scène où Noé va voir le camp de Toubal-Caïn (Ray Winstone impeccable comme souvent) qu'Aronofsky captive réellement le spectateur par une violence incroyable pour un PG-13.
A partir de ce moment, le spectateur ne va cesser de voir des tableaux virulents se poser tout le long. Noé, que l'on voyait comme un personnage bienveillant cherchant à sauver sa famille du mal dominant, apparaît dorénavant comme une personne prête à tout pour se sauver y compris à tuer et même à s'en prendre à ses proches. Sur ce point, Aronofsky brosse un portrait sans précédent de l'âme humaine avec un personnage éponyme à double tranchant capable de bonté comme des pires violences. Vers la fin du film, il apparaît peut être aussi monstrueux que Toubal-Caïn et son camp, aveuglé par la peur qu'il ne reste plus rien de l'humanité. Son chemin de croix apparaîtra légitimement ici comme une véritable mise à l'épreuve. Un portrait très étonnant de la part d'un blockbuster et auquel on ne s'attendait pas forcément en voyant la bande-annonce qui misait beaucoup sur le divertissement. Au final, l'expérience en salles n'a été que plus bénéfique. Outre la scène du camp baignée de tripailles (légères mais bien visibles) et de hurlements de femmes; on retiendra également cette lutte finale de l'Humanité cherchant à se faire une place sur l'arche avec pertes et fracas à volonté. Une séquence ne nécessitant pas de sang numérique certes mais dont les effets violents s'en ressentent jusque dans l'écrasement d'une jeune femme piégée. Voilà un genre de séquences et thèmes brutaux qui confirment que nous sommes bien chez Darren Aronofsky, PG-13 ou pas, gros moyens ou non.
Malgré une première partie un peu ronflante, Noé montre toutes ses promesses dans un récit violent et percutant sur l'âme humaine dans toute sa brutalité.