5+3 , retenez bien ces chiffres
Une femme est retrouvée salement ammochée par un homme. Se revendiquant nymphomane, elle commence à raconter sa vie...
Lars Von Trier est un réalisateur particulier pouvant réaliser des plans magnifiques comme d'alimenter les polémiques trop grosses pour lui et ses films (ah Melancholia à Cannes...). Alors quand il dit que son film suivant sera un film pornographique, il y a de grandes chances que le coco y aille franco. Nouvelle polémique, critiques allant du très positif au très négatif, film scindé en deux (sorties en France à une semaine d'intervalle), censure évidente (-16 pour le premier et -18 pour le second en France, alors qu'honnêtement les deux se valent bien dans le genre) et annonce d'un director's cut de 5h30 environ qui sera diffusé à la Berlinale 2014. Après une sortie en VOD depuis septembre, le director's cut de Nymphomaniac est disponible en DVD depuis janvier. Au bout de 5h30 de métrage, on est bien apte à constater au moins une chose: non Nymphomaniac n'est pas un véritable film pornographique ou du moins pas du niveau d'un Pirates 2 (Joone, 2008).
Ce n'est pas l'érotisme certes, le sexe y étant traité de manière brutale et non consensuelle (on n'est pas à Hollywood avec un balais dans le popotin, le succès de la St Valentin en est bien la preuve), mais ce n'est pas ce n'est pas du sexe pour du sexe et rien à voir avec des films que vous trouverez sur internet. Lars Von Trier réalise un vrai film digne de ce nom et qui plus est passionnant. Car l'air de rien, il est rare de passionner un spectateur au delà de trois heures de film et ce même s'il est coupé en deux. En sachant que les deux parties se valent largement, chacune ayant des points intéressants et malgré la coupe inévitable (que ce soit dans la version cinéma ou le director's cut) elles forment un vrai tout. D'autant que Von Trier s'engouffre dans le récit où l'héroïne raconte son histoire, donc voix-off, donc risque de redondance.
Il n'en est finalement rien puisque le récit impose une justesse et une description inévitable dans certains cas, renvoyant d'ailleurs à des théories particulièrement fascinantes. Votre interlocuteur ne va pas forcément toutes les développer, mais le cas de la pêche à la mouche est d'une ingéniosité incroyable. La théorie concorde parfaitement avec ce que l'on voit à l'écran, entre la "technique" et la "pratique". Ensuite pour éviter une biographie littérale, Von Trier utilise une narration en chapitres pour le moins pertinente, permettant des ellipses logiques et évitant la redondance. De plus, la scène la plus choquante de la première partie n'est même pas une scène de sexe. Même si le sexe fait partie du dommage collatéral de la scène, il n'en reste pas moins que la scène est lourde et plus le temps passe, plus cela devient de pire en pire. En effet, un père de famille et amant trop collant est vite éconduit par Jo (Stacy Martin/Charlotte Gainsbourg) sous un prétexte.
Manque de bol, il se ramène alors qu'elle doit accueillir un autre mec et sa femme débarque avec les gosses. Une scène effroyable où Uma Thurman n'a jamais aussi bien joué depuis Kill Bill (c'est dire si sa carrière a été largement ternie par de très mauvais choix, à l'image de Paycheck ou Maman mode d'emploi). Une mère de famille hystérique, une jeune fille ne pouvant rien faire pour se sauver de la situation (d'autant qu'elle est chez elle...), un mari n'assumant pas, les gosses et l'autre qui débarque entretemps. Une scène éprouvante et remarquablement écrite et réalisée. Les risques du métier en soi. Cette première partie permet aussi de découvrir la jeune Stacy Martin qui mise très gros pour un premier rôle. Elle s'en sort vraiment bien, surtout que le rôle est physique et psychologiquement rude. Revoir enfin Christian Slater dans un bon film depuis Mathusalem fait plaisir aussi.
Un rôle mélancolique qui permet à l'acteur de Pump up the volume de retrouver des lettres de noblesse foutues en l'air dans de sinistres DTV (au hasard Alone in the dark). On regrettera néanmoins que le personnage de la mère de Jo incarnée par Connie Nielsen ne sert réellement à rien, à la limite de la figuration. Cette première partie s'apparente davantage à une initiation, montrant l'héroïne en train de découvrir son corps et aussi son pouvoir d'attraction sur la gente masculine. Preuve en est le personnage de Jérome (Shia LaBeouf) qui prendra toute sa signification dans le second volet. Véritable salopard en puissance, jaloux comme pas possible mais disant à Jo d'aller voir ailleurs (paradoxe merveilleux), jusqu'au dernier chapitre du film (donc du second volet) où sa bêtise atteint un paroxysme impitoyable. On peut dire ce que l'on veut de Shia LaBeouf, mais pour le coup il est tout simplement parfait.
Loin des expérimentations douteuses qui ont suivi la présentation du director's cut à Berlin (on en reparle du sac sur la tête ?), il est génial dans un rôle peu ragoutant où il n'a clairement plus rien à voir avec le jeune puceau de Transformers (même s'il titille une moto...). La seconde partie est probablement celle qui a dû être la plus censurée dans la version cinéma, car elle montre largement des plans sur les sexes, des séances sado-maso et une scène d'avortement pour le moins perturbante (tout le monde n'aimera pas, d'autant que le plan principal est vraiment dégueulasse). La scène avec les deux africains est d'ailleurs une bonne grosse rigolade avec les deux cocos au premier plan, le pénis de chacun bien apparent et Gainsbourg en arrière-plan se demandant ce qu'elle fout là. Une séquence contrebalançant avec la violence exercée durant le reste du film.
La scène de l'avortement gore est une chose, mais les séances de SM sont déjà bien garnies et auront des dommages collatéraux sur Joe. Par ailleurs, là où on pouvait s'attendre à un rendu cliché, voire ridicule comme on a pu le voir ailleurs, c'est davantage un rendu spirituel alignant soumission et plaisir (le frottement par exemple) que propose Von Trier. Alors certes les séquences sont percutantes mais elles ont un sens et le personnage de Jamie Bell en est la preuve. Avec lui, le plaisir n'est pas une question d'amour, il est individuel. Il ne ressent ni amour, ni plaisir pour ses clientes, même si on voit qu'il n'est pas indifférent à Joe. Alors certes Lars Von Trier choquera certains spectateurs et c'est évident que certaines scènes feront craquer les plus sensibles, mais clairement les scènes de sexe sont totalement justifiées et épousent le propos. C'est rare de tomber sur ça dans le cinéma récent où le moindre rapport gourmand et croquant se résume à la plus prude des images ou à faire dans le vulgaire. Une prise de risques aussi intense n'est pas une chose que le spectateur verra tous les jours.
Un témoignage diablement intéressant sur la sexualité, où les excès ne sont jamais gratuits et muni d'une réflexion rare.