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3 septembre 2015

L'Armée de réserve du capitalisme

la loi du marché

 

genre: drame
année: 2015
durée: 1h37

l'histoire : À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ? 

La critique d'Alice In Oliver :

Superbe Vincent Lindon. Depuis plus de vingt ans maintenant, l'acteur a varié ses rôles au cinéma, mais s'est surtout spécialisé dans les films sociaux et engagés. On se souvient notamment de lui dans La Crise (1992), Ma petite entreprise (1999), Chaos(2001), ou encore Welcome (2009). Comme une évidence... 23 ans après La Crise intérieure proposée par Coline Serreau (sans doute le meilleur film de la réalisatrice...), Vincent Lindon se retrouve à nouveau dans une situation de précarité, à la fois sociale et morale.
Bienvenue dans La Loi du Marché, actuellement dans les salles de cinéma, et réalisé par Stéphane Brizé ! Présenté en sélection officielle du dernier festival de Cannes, La Loi du Marché fait désormais partie des grandes fiertés du cinéma français.

En effet, pour son rôle, Vincent Lindon a remporté le prix d'interprétation masculine. Quant à Stéphane Brizé, le réalisateur n'est pas spécialement connu du grand public. Pourtant, la carrière du cinéaste commence en 1993 avec un court-métrage, Bleu DommageLa Loi du Marché lui permet d'asseoir sa notoriété. Désormais, Stéphane Brizé est convié dans la grande cour cannoise parmi la haute bourgeoisie triomphante. Plus qu'un paradoxe, un oxymore. Celui qui prône un cinéma social et "indépendant" se retrouve dans la lumière, les paillettes, et l'opulence grandiloquente...
Mais le festival cannois apprécie les films revendicatifs, corrosifs et à caractère social. En outre, La Loi du Marché n'est pas sans rappeler les films des frères Dardenne.

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Attention, SPOILERS ! Thierry (Vincent Lindon), 51 ans, une femme au revenu modeste et un grand garçon handicapé mental à la maison, est viré de son entreprise pour cause de licenciement économique. Au bout de vingt mois de chômage et de vaine recherche d’emploi, il prend la décision d’accepter un poste de vigile dans une grande surface. Le film s'ouvre sur une séquence chez Pole Emploi.
A partir de là, le long-métrage examine au plus près le parcours de Thierry qui ressemble à un véritable chemin de croix. Stéphane Brizé ne relâche jamais son personnage principal, un quinquagénaire qui tente de rester digne et coi, dans une économie exsangue, de plus en plus folle, perverse et mercantile.

Quant à la caméra de Stéphane Brizé, elle filme Thierry de profil ou de dos comme pour marquer tout le poids et tout le fardeau qui pèsent sur ce père de famille : un fils lourdement handicapé, le chômage depuis presque vingt mois, des factures et des crédits à payer, des comptes à rendre à la banque... Ainsi, La Loi du Marché décrit un système anomique, totalement déshumanisé et pervers, qui prend à la gorge le citoyen ordinaire, le type lambda, bref le prolétaire. 
Ce n'est pas un hasard si la présidente du Medef, Laurence Parisot, a accusé le film de plagiat. Comme une évidence... Qu'on le veuille ou non, La Loi du Marché dérange et interroge sur un modèle économique français, non seulement en crise, mais qui plonge à la fois les chômeurs et les travailleurs dans le marasme, la solitude et la décrépitude. 

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Pour tenter de subsister, Thierry accepte des formations inadaptées et qui n'aboutissent nulle part. Il effectue également un stage de requalification durant lequel il est morigéné, jugé, humilié, bafoué, vitupéré... La tête basse, sans voix, mais digne et d'une placidité exemplaire, Thierry encaisse tous les coups portés par le système. C'est le parcours comme un autre d'un homme touché dans son coeur et dans sa chair. Noyé dans une boucle incoercible et inexpugnable, Thierry accepte un poste de vigile dans un supermarché, un travail comme un autre... Tout du moins, en apparence... 
La Loi du Marché décrit alors un univers clientéliste et consumériste. Il ne s'agit pas seulement de faire des bénéfices, mais aussi de dégager un maximum de profits, toujours dans un esprit de lucre.

Encore une fois, Thierry subit tout le poids d'un système qui marche complètement sur la tête. Il va même à l'encontre de ses convictions les plus profondes. Ainsi, le film aborde des thèmes hélas de plus en plus d'actualité dans le monde professionnel : le burn-out, la surveillance, le suicide sur le milieu de travail... A l'instar de ces caissières qui ont elles aussi leur propre fardeau, leur propre "crise" (comme le disait Coline Serreau dans son film homonyme...), Thierry fait partie de l'armée de réserve du capitalisme, de ces nouveaux pauvres annihilés par le système.
Quant à Stéphane Brizé, le réalisateur ne sombre jamais dans le romanesque. Le cinéaste opte pour un film presque documentaire qui soit le plus réaliste possible. Sur ce dernier point, il faut évidemment saluer l'immense performance de Vincent Lindon, aussi digne que son personnage, au visage émoussé mais incroyablement stoïque, à l'image de tous ces citoyens plongés dans cette perversité quotidienne... Phrase prémonitoire de Karl Marx : "Le capitalisme vaincra..."

La critique de Borat

Le Festival de Cannes ennuie et est bien souvent l'ombre de lui-même (il n'y a qu'à voir tous ces gens y allant pour se faire voir, au contraire d'aller voir des films ou en promouvoir). C'est ce que l'on peut constater au fil des années et l'on oublie très souvent les films, notamment en compétition. Il est d'autant plus évident aussi que les sections externes (y compris le hors compétition) sont devenues aussi beaucoup plus intéressantes que la compétition depuis quelques temps, enlevant du prestige à la sacro sainte compet sentant souvent la naphtaline. Pourtant c'est bel et bien d'un film en compétition lors de cette dernière édition du festival dont nous allons parler. Dans un torent de films semblant vous emmener à Déprime Land (et le mot est faible), La loi du marché de Stéphane Brizé aurait très bien pu être un cas comme tant d'autres dans le lot. Il n'y a qu'à voir le pitch: un homme marié et avec un enfant handicapé essayant de trouver du travail. Au premier abord, c'est le cas typique du film chiant et terriblement cannois. Pourtant, malgré ses atours de pur drame, le film marque durablement dans l'esprit du spectateur. Il fait même sérieusement mal au ventre dans le climat actuel.

A une heure où le chômage grimpe toujours un peu plus dans un monde du travail impitoyable (changez "Dallas" par "travail" et vous aurez une autre vision du générique d'une célèbre série télévisée), La loi du marché renvoie un reflet de notre société qui tape là où ça fait mal. Il n'est pas étonnant qu'une personnalité comme Laurence Parisot a vivement critiqué le film, parlant d''une caricature', montrant "l'entreprise (...) comme tyrannique, abusive", et n'étant pas "un documentaire social qui décrirait la réalité" *. Sur ce dernier point, on voit bien que Mme Parisot n'est pas dans son élément, car elle saurait que le documentaire n'est pas une fiction comme l'est La loi du marché, mais un film issu du réel (même s'il y a des éléments d'orientation). Mais passons... La réalisation de Stéphane Brizé ne fait pas dans la légèreté. Caméra à l'épaule, renvoyant automatiquement au documentaire (ce qu'il n'est pas, rappelons-le pour les gens du fond dont fait partie Mme Parisot) et suivant sans cesse son personnage, Brizé pouvait très bien faire dans la caricature du film se voulant documentaire. Ce n'est jamais le cas puisque la caméra épouse pleinement le point de vue du personnage incarné par Vincent Lindon. Ce point de vue du réalisateur permet d'observer pleinement les réactions de son acteur principal, se centrant uniquement sur lui.

Le film commence sur Vincent Lindon, il finit sur Vincent Lindon et jamais nous n'aurons un point de vue extérieur que ce soit sa femme, son fils ou même ses employeurs. Tout le film repose sur des rencontres, des faits auxquels il prend part. Mais évidemment là où La loi du marché encore encore des points, c'est de par son fond. Muni d'un humour noir qui fait souvent mal au ventre, Brizé montre une fresque sociale où un homme essaye d'avancer et se retrouve sans cesse dans une société l'en empêchant. La situation initiale est en soi mémorable et terriblement crédible: l'homme est au chômage, Pôle Emploi l'envoie faire un stage, sauf que certains ne sont pas renumérés et par la même occasion ne correspondent pas à ce qui pourrait lui convenir selon son cv. Or, personne ne lui a dit avant de le lancer. C'est de cette scène entre Lindon et un gars de Pôle Emploi qui fait débuter le film et déjà on ressent un certain malaise dans ce qui est évoqué. Personne n'écoute, donc personne ne peut aider et le cercle vicieux de revenir sans cesse. La scène entre Lindon et ses anciens collègues est aussi évidente dans ce sens: certains s'amusent à faire des procès pour toucher des indemnités, que font-ils pour continuer à vivre? Se reposer sur un possible procès n'a rien de rassurant car s'il n'y a rien à l'arrivée, la personne aura perdu son temps pour rien et des chances de retrouver un emploi.

C'est ce que le personnage principal cherche à faire comprendre plus ou moins en vain à ses collègues: si on ne va pas de l'avant, on reste au même point. Mais là où Brizé continue à taper c'est aussi sur le plan familial. On nous présente donc cet homme comme un homme marié et ayant par la même occasion un enfant handicapé. Un enfant qui va à l'école et qui devra tôt ou tard aller à une école spécialisée. Une école qui coûte cher, donc il faut un prêt. Sauf que quand vous n'avez pas de travail, pas de prêt accepté par madame la banquière. Un cercle vicieux qui continue sans cesse sans jamais s'arrêter et qui finit toujours par avoir le dernier mot sur les plus faibles bouffés par les requins. La scène du bingalo est aussi fantastique dans son genre: face à une personne hypocrite cherchant à avoir le beurre et l'argent du beurre, il faudra bien de la patience pour mettre fin à une discussion stérile et n'en finissant pas de tourner au ridicule. La scène est assez violente, montrant deux hommes se tenant tête entre l'un cherchant à garder un prix qu'il a défini et l'autre cherchant à tout prix à payer moins alors qu'on lui fait déjà une offre. Ce genre de confrontation montre à quel point la nature humaine peut être sauvage et virulente, atteignant sans cesse les plus bas instincts afin d'arriver à leur fin. Dans ce rabaissement sans cesse de la personne, le passage du coaching est un sommet, des chômeurs se critiquant mutuellement sur une stature, un regard ou même l'apparence.

Donc une uniformisation violente auquel même le principal intéressé se rue dessus pour bouffer l'autre. Le but étant purement et simplement d'humilier et éliminer quelqu'un sur son chemin. Le dernier tiers est lui aussi bien percutant dans son genre, peut être là où le cynisme atteint des sommets. (attention spoilers) Thierry se retrouve à faire le vigile dans un grand magasin mais là encore le cynisme est de rigueur. On dit dès le premier jour qu'il faut surveiller les caissières car le patron cherche à renvoyer des employés. Dès le début, Thierry sait ce qu'il va devoir faire: ce qui lui est arrivé lors de la séquence de coaching, il va le faire à d'autres. Brizé montre un regard particulièrement vicieux où l'employeur devient une sorte de rapace attendant le bon moment avant de passer à l'action. Vers la fin on atteint un tel degré de cynisme que le spectateur se révèle aussi perturbé que Thierry. (fin des spoilers) La loi du marché n'est certes pas un documentaire, mais ce qu'il dévoile semble terriblement vrai et c'est bien cela qui est dramatique. Lorsque la réalité devient aussi ahurissante que la fiction, c'est qu'il y a un problème et le spectateur de remettre en question l'univers dans lequel il vit. Vincent Lindon mérite amplement son prix d'interprétation, tenant le film en grande partie sur ses épaules et par un physique de "monsieur tout le monde" n'en devient que plus crédible.

Un film qui fait très mal et donne lieu à un reflet de notre société qui hante le spectateur durablement après la séance.


 

* Propos recueillis dans:

http://leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/laurence-parisot-etrille-le-film-la-loi-du-marche-caricature-de-l-entreprise-30-05-2015-4817251.php

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Commentaires
A
Un vrai coup de coeur pour toi également... L'un des chocs du cinéma français de cette année 2015
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T
Il m'interesse, mais, je le verrais en dvd, celui la. Mais, il est certain que si c'est du niveau de Quelques Heures De Printemps, ça doit être un très bon film.
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S
Enorme film. Stéphen Brizé est un réalisateur que je suis particulièrement (j'avais publié un dossier complet en 2012 sur lui dont interview suite à "Quelques heures de printemps" qui est toujours mon film préféré 2012) et ce film confirme qu'il construit son chemin petit à petit et qu'il construit une filmo qui s'étoffe de la plus belle façon...
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A
exactement
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A
à borat: pourtant c'est une réalité
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