La passion de Melou
Hollywood aurait voulu tuer Mel Gibson qu'elle aurait presque réussi. Loin de justifier les frasques pour lesquelles on l'a accusé (alcoolisme amenant à des injures, injures envers sa future ex-femme, injures envers le scénariste Joe Eszterhas lors de la préparation du projet sur Judas Macchabée), la mise au repos de l'ami Mel fut pour le moins radicale, du genre dont Hollywood se réjouit. Encore plus quand on parle d'une star toujours en activité et valant son pesant d'or (le dernier succès de Gibson en tant qu'acteur était Signes de M Night Shyamalan, La passion du christ fut un énorme succès commercial). Même Johnny Depp ne semble pas avoir ce même type de problèmes dans une polémique similaire (on le promeut même dans une nouvelle franchise). Melou ne semble pas avoir eu la même chance et on a souvent pensé ces dix dernières années qu'il ne reviendrait plus, embourbé dans des projets qui ne trouvent pas ou perdent leurs financements, des films en rôle principal qui ne trouvent pas leur public (The beaver de Jodie Foster, Kill the gringo d'Adrian Grunberg) ou du cachetonnage chez les bourrins (Machete Kills de Robert Rodriguez, Expendables 3 de Patrick Hughes). Mais l'année 2016 semble être celle de la résurrection de Mel Gibson, acteur-réalisateur dont beaucoup semblaient avoir oublié son talent derrière le people. Commençons d'abord en tant qu'acteur avec Blood Father présenté à Cannes en mai dernier.
Après avoir eu un moment d'égarement (bruit de batteries), Jean François Richet revient aux States avec des financements français. Blood Father n'a pas l'intention de révolutionner le cinéma d'action et sa facture technique se révèle assez classique. Richet a beau montrer l'Amérique désertique, il ne fait rien de plus avec. Cela pourrait être le coin le plus paumé des USA, ce serait exactement la même chose. Le récit n'a pas non plus de quoi impressionner: un père retrouve sa fille du jour au
lendemain (sa fugue dure depuis plusieurs années) et doit affronter des trafiquants de drogue à ses trousses. Une traque qui ne tiendra pas plus d'une heure trente et finalement ce n'est pas plus mal. Pas que Blood Father soit mauvais, mais c'est parfaitement le film du vendredi soir sympathique mais que l'on aura oublié assez rapidement. Ainsi, les péripéties s'alignent, mais ne transcendent pas et ce même si dans l'ensemble on passe un bon moment (on ne s'ennuie pas). Diego Luna ne semble pas bien crédible en trafiquant psychopathe, se contentant de jouer les bad boys de pacotille dès qu'il a un flingue à la main. Tout comme Erin Moriarty se révèle vite agaçante en fille de Melou, alignant les mauvaises actions prévisibles. En revanche, il y a une chose à sauver véritablement: Mel Gibson. Il n'est pas étonnant que le personnage soit un ancien alcoolique, ni qu'il a eu divers déboires avec la police et même si Richet évoque plus une coïncidence, il arbore un fusil à canon scié comme son personnage emblématique Max Rockatansky.
Rien que pour lui, Blood Father suscite la curiosité. Plus sobre, énervé au bon moment et même touchant, Mel Gibson confirme qu'il est toujours un grand acteur même dans le film le plus anecdotique (c'était déjà le cas dans le mollasson Edge of darkness de Martin Campbell), jouant de sa part ténébreuse pour en faire une sorte de thérapie. L'occasion pour Mel Gibson d'une bonne prestation, ne cabotinant pas et parfaitement crédible en ancien Hell's Angel. Mais évidemment, votre cher Borat va surtout évoquer Hacksaw Ridge aka Tu ne tueras point, titre français accentuant le côté religieux sans être représentatif du film lui-même. Si Mel Gibson avait continué à faire des films en tant qu'acteur entre quelques polémiques, c'est surtout le réalisateur qui nous manquait. Pendant très longtemps nous espérions voir son épopée viking avec William Monahan au scénario et Leonardo Dicaprio en rôle principal au doux nom de "Berseker". Si Melou n'a jamais caché l'idée d'y revenir (peut être que Hacksaw Ridge lui permettra cela), ses acolytes sont partis depuis bien longtemps. On a ensuite évoqué le projet sur Macchabé qui n'a pas tenu longtemps. Puis par le miracle du saint-esprit, Melou trouve le successeur d'Apocalypto (2006). Un projet qui s'est ironiquement vite mis en production, bien aidé par l'appui de l'acteur Andrew Garfield et du scénariste Randall Wallace (qui avait dirigé Gibson dans Nous étions soldats).
Inutile de dire qu'en dix ans, Melou n'a pas changé de fusil d'épaule, taillant à la fois dans la religion et la violence. La religion n'est pas aussi dominante que dans ses derniers films (La passion du Christ que l'on n'a plus besoin de présenter et Apocalypto, survival sur fond de fanatisme et sacrifice rituel), mais elle a quand même une certaine place dans le récit. (Attention spoilers) Si Desmond Doss, véritable héros de guerre, ne voulait pas utiliser ou porter une arme, c'est en raison du commandement "tu ne tueras point" et à sa croyance en l'Eglise adventiste du septième jour. Gibson a parfois trop tendance à mettre en avant l'aspect religieux, en multipliant d'abord les plans sur la Bible (un élément suffisamment important pour être récupéré sur le champ de bataille, car celle de sa femme) ou même un dernier plan digne d'une illumination divine, devenant progressivement un peu too much. Toutefois sur le précepte même du sixième commandement, Gibson s'en sort bien mieux car il en fait le coeur de son récit. Si Ross tient à ce point à ce précepte, c'est parce qu'il a failli tuer son frère (Nathaniel Buzolic), puis son père (Hugo Weaving), le premier à cause d'un jeu d'enfant ayant mal tourné, le second car son paternel avait encore trop bu et avait manquer de tuer sa mère (Rachel Griffiths). Des événements graves où l'arme a une place primordiale et malheureuse (une pierre, un pistolet) et ont conduit à ce que Doss devienne objecteur de conscience. Gibson montre alors un personnage aux convictions si fortes qu'il en vient à être contre sa hiérarchie, risquant même la radiation.
Sa foi lui donnera raison, mais comme le Christ (dans des conditions très différentes et moins saignantes) il devra passer par des épreuves morales et physiques, où ses hauts gradés comme ses bidasses de camarades ne lui feront jamais de cadeau. De même, la conviction militaire de Doss est totalement justifiée. Gibson ne se lance pas dans une leçon de patriotisme made in USA comme on a régulièrement l'occasion de le voir dans le cinéma américain : Doss pouvait et se sentait capable d'aller à la guerre, il s'est donc engagé pour cela, quitte à n'être qu'un infirmier sur le champ de bataille. Nous ne sommes pas face à un Captain America se lançant dans la guerre car il a la fibre patriotique. Une fois au front, Gibson peut se permettre de signer une pure oeuvre sur l'héroïsme avec ou sans arme. Il ne glorifie pas la guerre et fait comme à son habitude depuis Braveheart (1995): la guerre n'est pas propre et se fait dans le feu et le sang. Beaucoup de critiques ont mis en avant le fait que Gibson joue sur le pacifisme de son héros, tout en faisant couler le sang. Mais Hacksaw Ridge n'est pas un film sur le pacifisme mais sur un personnage qui l'est et le restera, ainsi qu'un film sur l'héroïsme. Sur ce point, Gibson se veut même très clair. Il ne diabolise jamais le Japonais, il reprend même ses codes de l'honneur symboliques comme le hara-kiri. Le principe est pareil aux deux camps: tuer l'ennemi pour ne pas être tué, quitte à être le plus meurtrier possible (un kamikaze, prendre le cadavre de son camarade tombé comme bouclier...) ou survivre (Doss masque son camarade de terre pour que les japonais ne le voient pas, lui-même se camoufle sous un cadavre).
Le message du film est aussi de montrer que l'héroïsme n'a pas besoin d'être armé pour exister. C'est ainsi que le réalisateur met en scène Doss dans son travail d'infirmier durant un très long moment, faisant de cela un pur instant de suspense. Alors que les soldats les plus actifs sont déjà redescendus, il cherche ses camarades, les sauvant même d'une mort certaine, entre les japonais taillant dans les corps et les rats qui pullulent sur le champ de bataille. Une sorte de super-héros naviguant entre les cratères et les cadavres, manquant de se faire tuer ou repérer plusieurs fois. Quand le réalisateur revient à la survie, il touche certainement le plus au but. Là où Gibson fait certainement très fort aussi, c'est en multipliant par dix l'impact de l'ouverture d'Il faut sauver le soldat Ryan (Steven Spielberg, 1999). L'ouverture d'Hacksaw Ridge montre divers faits fracassants, envoyant dès les premières secondes le spectateur sur le front, faisant chauffer le napalm et les explosifs sans limite. Plus tard, lors de l'arrivée des soldats ricains au dessus de Hacksaw Ridge (lieu de l'action principale du film, d'où le titre original bien plus logique), le réalisateur offrira une sacrée vision de cauchemar avec la chair d'un visage au sol, des membres déchiquetés, des boyaux partout, les rats... Les soldats entreraient dans les Enfers que cela aurait le même effet. Si Mel Gibson ne va pas aussi loin que ses deux derniers efforts, il n'en reste pas moins d'une forte brutalité.
On regrettera toutefois un final sous forme d'archives en voulant faire trop cours d'histoire. Il aurait mieux valu en rester à des écritos. (fin des spoilers) Le casting est également pour beaucoup dans le charme du film, allant d'un Andrew Garfield terriblement sympathique à un Sam Worthington semblant sortir du navet hollywoodien pour la bonne cause. On notera également les prestations fortes de Vince Vaughn cabottin bien comme il faut (et si son avenir se tenait plus dans des drames de cette trempe que dans des comédies ?) et un Hugo Weaving particulièrement émouvant en ancien héros de guerre, lié à jamais au traumatisme d'être le seul de son groupe à avoir survécu. En résumé, si le retour de Melou en tant qu'acteur ne fut pas brillant, son retour en tant que réalisateur fracasse.