Terrence Malick aux confins des étoiles
Terrence Malick, phénomène de la rareté au cinéma depuis Les moissons du ciel (1979), a décidé de passer à la vitesse supérieure pour la décennie 2010. Cinq films (dont un en post-production et une Palme d'or) plus tard, Malick est toujours là et ce malgré des films qui peinent à renflouer les caisses. Un diagnostic assez évident compte tenu du cinéma quasi-expérimental qu'il effectue désormais et qui décontenance bons nombres de spectateurs. Pas le genre à faire des chiffres mirobolants au box-office. Toutefois, il attire toujours les stars (Christian Bale ou Natalie Portman pour ne citer qu'eux), même pour un docu-fiction. Ainsi, Brad Pitt et Cate Blanchett sont les narrateurs des deux versions de Voyage of time (2016), le premier pour la version IMAX diffusée aux USA dès l'automne dernier, la seconde pour la version salle classique. Voyage of time a finalement atterri en France le 4 mai dernier... le temps d'une séance exceptionnelle (quelques UGC l'ont diffusé le dimanche suivant). A l'heure où Netflix se fait dézinguer par beaucoup de détracteurs (dont des distributeurs et des exploitants) à cause de ses films sélectionnés à Cannes, on peut s'étonner de leur tolérance surréaliste envers une projection unique. Il y en a qui gueulent beaucoup quand ça les arrange (et surtout quand on touche à leur porte-feuille).
Ceux qui attendent un film plus narratif de la part de Malick seront surement déçus. Il continue dans l'expérimentation, jouant avant tout de l'impact de l'image. Toutefois, Voyage of time est largement moins complexe que The Tree of life (2011) auquel il est pourtant lié. Le film revient sur la partie sur le big bang et la genèse des êtres-vivants sur Terre exposée dans la Palme d'or avec des images inédites. Le film se révèle au premier abord assez abstrait, à cause d'une narration qui n'a rien de conventionnelle (Cate Blanchett lit une sorte de prière à la Terre). C'est aussi pour cela que l'on parlera davantage de docu-fiction. Malick joue avec ses propres croyances et sa propre vision de l'évolution, tout en prenant en compte des données scientiques issues de différentes universités mondiales. Ces deux éléments permettent à la fois une vision personnelle du réalisateur, mais aussi une certaine authenticité scientifique. Sans compter l'aspect reconstitution confirmant le docu-fiction définitivement. La narration même renvoie aux différentes répliques de Jessica Chastain dans The Tree of life, personnage particulièrement croyant dans une Amérique qui l'est tout autant. On peut trouver cela un brin inutile, les images parlant finalement d'elles-mêmes.
Le déroulement du film est au départ assez énigmatique avant d'aller directement au fond des choses. Malick montre alors deux types de séquences: les scènes purement documentaires (paysages, animaux) ou docu-fiction (les dinosaures, les premiers instants de l'Homme); et des scènes en 4/3 montrant différentes communautés à travers le monde (aussi bien les USA que l'Inde). D'un côté, une imagerie spectaculaire, contemplative et forte en images fortes. De l'autre, le quotidien de différentes cultures avec la misère ou les rites notamment de mort, ce qui vaut des passages peu ragoûtants pas si éloignées d'une célèbre scène d'Apocalypse now (Francis Ford Coppola, 1979). Dans les deux cas, la vie, la mort et la renaissance de la vie à travers différentes espèces au fil des millions d'années. Il y a un aspect ludique au sein de cette imagerie de la génèse, puis des premières espèces jusqu'à l'Homme. Le spectateur peut penser dans un premier temps que certaines espèces sont actuelles (certaines étant assez ressemblantes), avant de voir que les images (en dehors de celles en 4/3) sont finalement chronologiques. Le big bang, les premières espèces aquatiques et terrestres, les phénomènes naturelles, les dinosaures et enfin l'Homme. L'ensemble devient cohérent, sans avoir besoin de surexplication et Malick atteint finalement son but. Montrer un voyage au fil du temps.
Le spectateur est emmené aux confins de son existence par le réalisateur, avant de montrer l'évolution de sa propre espèce. Il ne laisse pas de place à un quelconque futurisme, s'arrêtant à temps dans son imagerie. Il aurait été ironique pour un réalisateur aussi terre à terre que Malick d'aller vers quelque chose dont lui-même, ni le spectateur n'a idée. Malick s'est amusé avec le budget qui lui a été alloué, permettant des plans splendides en CGI ou dans de magnifiques décors réels. On retrouve là le naturalisme pur du réalisateur dans un type de cinéma qu'il n'avait étonamment jamais exploité (le documentaire). Un côté apaisant se ressent des images, quelque chose de terriblement agréable contenue dans 1h30. Ce qui en fait tout de même son film le plus court depuis... Les moissons du ciel ! Quand on sait à quel point Malick a tendance à faire des films longs, un film d'1h30 ne fera de mal à personne, y compris à ses détracteurs. Comme quoi, le réalisateur a encore des choses à raconter et pas seulement dans des publicités pour du parfum. Cela tombe bien, on le retrouvera bien assez tôt avec Song to song (le 12 juillet dans les salles françaises) et Radegund.
Terrence Malick s'essaye avec brio au docu-fiction, signant un beau et apaisant voyage pour le spectateur.