Les feux de l'amour
Jong-soo retrouve une de ses anciennes camarades de classe et en tombe amoureux. Mais suite à un voyage en Afrique, elle revient avec Ben, un homme d'un tout autre milieu...
Considéré comme l'un des grands oubliés de la dernière édition cannoise, Burning était évidemment attendu pour sa sortie dans les salles françaises. D'autant plus que le réalisateur Lee Chang Dong n'avait rien réalisé depuis le très remarqué Poetry (2010). Il revient avec un film qui navigue dans différents genres sans jamais s'égarer. Le film commence ainsi comme une comédie-romantique classique. (attention spoilers) Un homme, une femme. Ils sont deux anciens habitants et camarades de classe venant d'un même village sud-coréen éloigné de Séoul. Elle le reconnaît, lui non. En peu de temps, Lee réussit à installer une situation, montrant l'attirance des personnages entre eux, y compris en naviguant sur le terrain de l'intime avec une scène d'amour à la fois belle (on ressent que les deux sont amoureux) et gênante (Lee filme le visage du héros en plein acte durant un petit moment).
Mais aussi le regard différent que l'on peut avoir d'une personne en la revoyant des années plus tard. La relation évolue vite quand un troisième acteur se dévoile. Pendant que Jong-soo (Yoo Ah-In vu dans le remarqué Veteran) s'occupait de son chat, Hae-mi (Jeon Jong-Seo) a rencontré un homme durant son voyage en Afrique, Ben (Steven Yeun, vu dans la série The Walking Dead et Okja). A partir de là, Lee opte pour un triangle amoureux touchant au choc des cultures avec un trio d'acteurs absolument fantastique. D'un côté, les jeunes venant d'un village et aspirant à une vie meilleure. De l'autre, le jeune homme issu d'une bonne famille habitant le fameux quartier de Gangnam chanté par Psy (mais si le sud-coréen avec un costume-noeux papillon qui dansait comme s'il était sur un cheval).
Lee brosse le portrait de ses personnages principaux avec saveur, parfois avec des petits détails qui auront une incidence plus tard. Jong-soo voudrait devenir écrivain, mais il est bloqué par les déboires judiciaires d'un père aux crises de colère qui ont pris des proportions folles (le départ de sa femme, l'agression d'un agent). Hae-mi voudrait devenir actrice (ce qui donne lieu à une scène de pantomime assez fascinante), mais est minée par une famille qui l'a délaissé (comme en atteste la scène un brin sinistre au restaurant de ses parents). Jong-soo semble même être le seul à s'intéresser à elle au bout d'un moment. Alors que les villageois veulent avoir un semblant d'espoir, mais sont confrontés à des parents qui les ont presque oublié (aucune approche n'aura lieu entre le père et le fils, alors que ce dernier vient à chaque audience) ; Ben ne fait pas grand chose de ses journées et ne cesse de montrer son rang social à travers divers aspects (l'appartement, la porsche etc).
Il n'aura jamais de problèmes d'avenir comparé aux deux autres. Ce qui nous amène après la romcom et le drame social à un genre inattendu : le thriller. C'est là où les détails prennent sens. Est-ce que le chat d'Hae-mi existe vraiment ? Les baillements de Ben ne montreraient pas une forme de lassitude, anticipant la disparition soudaine de ses compagnes ? Sans compter des éléments évidents qui finissent par devenir de plus en plus perturbant. Lee ne dit pas tout, mais suffisamment pour faire comprendre une situation évidente. Le réalisateur réussit à instaurer une ambiance de thriller psychologique, où les deux hommes se scrutent et analysent les moindres détails (un objet, des tocs, des phrases dites etc) au point que les masques tombent progressivement. D'autant que le film prend le point de vue de Jong-soo durant la plupart du film, le montrant dans son quotidien, y compris lors de moments très intimes.
Ce qui permet de mieux le cerner et de voir certains indices grâce à lui. C'est un jeune homme qui s'y prend mal avec la femme qu'il aime et qui essaye à tout prix de se faire pardonner, rendant sa quête rédemptrice et mélancolique. Rien n'est laissé au hasard dans Burning, ce qui en fait un film particulièrement subtil dans sa partie thriller. La longueur du film peut rebuter pas mal de spectateurs (2h28 tout de même), d'autant que le film a parfois tendance à être très poseur, laissant le spectateur contempler un coucher de soleil dans le plus grand des silences. Ou alors un jeune garçon regardant une serre en train de brûler. Mais une fois que l'on est pleinement dedans, Burning est un film absolument passionnant qui reste durablement en mémoire. A l'image d'un final plus direct, où le héros finit par devenir le digne fils de son père dans un excès de colère que l'on peut presque qualifier de légitime. (fin des spoilers)
Un film qui réussit à multiplier les genres sans se perdre, à la fois subtil et muni d'une rage intérieure qui ne demande qu'à exploser.