"Le cinéma français c'est de la merde !", "Je n'ai jamais vu un bon film choral français avant Les petits mouchoirs"... Vous en avez marre d'entendre systématiquement les mêmes reproches envers le cinéma français ? Alors cette rubrique est faites pour vous. Les films français de qualité ne manquent pas, qu'ils soient des 80's ou de 90's. L'occasion d'évoquer des films français ou réalisés par des français que j'aime à divers degrés ou même quelques curiosités qui mériteraient un peu plus de visibilité. Pour cette édition, il sera question d'évoquer Jean-Loup Dabadie et Guy Bedos qui nous ont quitté récemment. Voici trois films à (re) découvrir signés ou joués par ces deux artistes.
- Un éléphant, ça trompe énormément / Nous irons tous au paradis (Yves Robert, 1976-77)
D'abord comédien, Yves Robert commence à s'intéresser à la réalisation au cours des 50's. Il finit même par se faire une solide réputation de metteur-en-scène au fil du temps et l'un de ses grands faits d'armes est ce dyptique réunissant Victor Lanoux, Jean Rochefort, Guy Bedos, Claude Brasseur, Marthe Villalonga (qui est à peine plus âgée que son fils à l'écran), Danielle Delorme et Christophe Bourseiller. Deux films avec les mêmes personnages et dont les péripéties se répondent. Dans le premier film, Jean Rochefort finit par tromper sa femme avec Anny Duperey, dans le second c'est Danielle Delorme qui a une liaison avec un autre homme. Les rôles s'inversent et les réactions s'avèrent intéressantes, puisque le mari en vient à devenir jaloux et stupide, là où la femme ne dit rien et fait comme si elle n'avait rien vu.
Il arrive un aspect similaire au personnage de Lanoux. Présenté comme un coureur de jupons qui voit son mariage exploser à cause de ses adultères dans le premier film, cet aspect est totalement mis de côté dans le second pour le montrer en patriarche pris dans une relation très libre. Le mâle alpha n'est plus ou du moins il est face à plus fort que lui : une femme. Les cas de Bedos et Brasseur sont tout aussi intéressants. Le premier apparaît comme un gars timide avec une mère envahissante. Ce qui donne des scènes jubilatoires dans les deux films rythmées par le savoureux "Maman arrête !", comme l'arrivée de Villalonga en plein match de tennis ou l'engueulade en pleine soirée suite à l'indifférence de la mère vis à vis d'une copine de son fils. Une relation explosive qui sera largement au centre du second opus, animé également par de beaux moments d'émotion.
Quant à Brasseur, il s'avère être un des rares personnages gay de l'époque à ne pas être caractérisé comme une "grande folle". Une volonté de l'acteur, qui s'est d'ailleurs opposé à son agent, ce dernier ne voulant pas qu'il joue ce rôle. L'acteur est sobre tout comme le traitement de la vie sentimentale du personnage par Robert et le scénariste Jean-Loup Dabadie. C'est également le bon copain qui va toujours aider quand il le faut et ne demande pas forcément de remerciements. Un éléphant, ça trompe énormément est déjà un film de qualité, largement alimenté par les déboires sentimentaux amusants de Rochefort, mais Nous irons tous au paradis est probablement plus maîtrisé et Robert et Dabadie s'attardent davantage à chacun des personnages, leur donnant des arcs narratifs spécifiques.
Rochefort joue les Clouzot, Brasseur a une relation spéciale avec sa patronne (Gaby Sylvia), Lanoux s'occupe des enfants et Bedos trouve l'amour. La suite accumule un grand nombre de scènes jubilatoires, à l'image du démontage de voiture sponsorisé par Jean-Pierre Castaldi ou de cette maison présente au meilleur endroit possible. Le dyptique d'Yves Robert fonctionne toujours autant de nos jours et impose des films de potes attachants et drôles, avec un casting en or.
- Les choses de la vie (Claude Sautet, 1971)
Après deux films plus orientés action (Classe tous risques et L'arme à gauche, 1960-65), Claude Sautet se lançait dans des projets un peu plus intimes avec ce film écrit par Jean-Loup Dabadie et Paul Guimard d'après son roman. Yves Montand et Annie Girardot, ainsi que Lino Ventura déclineront l'offre, laissant la place à Michel Piccoli et Romy Schneider. Le film sera un succès avec près de 3 millions d'entrées et permettra à Schneider de continuer son virage plus sérieux, loin de l'image de Sissi. On résume souvent Les choses de la vie à son accident de voiture, mais en même temps quel crash. Sautet le dévoile par petites touches. Tout d'abord par les témoins qui évoquent ce qui est arrivé : le chauffeur joué par Boby Lapointe a calé en pleine route, Piccoli arrivait trop vite et n'a pas assez anticipé, la voiture finissant dans un arbre après avoir expulsé son conducteur en plein vol.
La séquence nous est ensuite montrée au ralenti, histoire de voir l'impact matériel et physique sur la voiture et Piccoli. Puis à vitesse réelle, confirmant la violence des chocs et que le crash n'était qu'une question de secondes. La scène est violente, spectaculaire et apparaît comme un mauvais concours de circonstance. Ces moments de suspension dus aux ralentis permettent au personnage de Piccoli de revoir des moments de sa vie récente, avec son ex (Lea Massari), son actuelle compagne (Schneider), son fils (Gérard Lartigau), son père (Henri Nassiet) ou son associé (Jean Bouise). Chaque moment apparaît comme une longue pause entre les ralentis du crash, permettant de mieux connaître la victime et de l'accompagner vers son dernier voyage.
Dans ses dernières minutes, le film se veut logiquement plus métaphorique, la preuve avec l'éloignement du bateau ou un dernier repas aux invités surprenants. Mais également plus tragique. D'un côté, Massari qui fait ce qu'elle a à faire. De l'autre, Schneider qui part enthousiaste et dont le visage devient blême au fil des minutes. C'est elle qui illustre le dernier plan : un être épuisé, sous le choc et qui n'a plus aucun but. La tristesse incarnée. Romy Schneider est superbe et la musique de Philippe Sarde fait tout le reste. Le film est assez court (1h29 à tout casser), mais il aurait été difficile de faire "durer le plaisir" plus longtemps. Sautet signe donc un film à la durée idéale, concordant parfaitement avec son sujet. Les choses de la vie est un film touchant sur les petites choses que l'on fait, les relations avec les gens qu'on aime, les joies, les erreurs et les aléas de la vie.
On dit souvent que l'on voit sa vie défiler devant ses yeux lors de nos derniers instants de vie. Les choses de la vie en est l'illustration même. Les américains ont fait un remake du film en 1994 avec Richard Gere, Sharon Stone et Lolita Davidovich dans les rôles de Piccoli, Massari et Schneider. A l'image de Mixed nuts (Nora Ephron, 1994), Diabolique (Jeremiah S Chechik, 1996) ou de L'embrouille est dans le sac (John Landis, 1991), Intersection n'est pas resté dans les mémoires et ce n'est peut-être pas plus mal.
A la prochaine !
C'est super intéressant ce que tu dis sur l'écriture des personnages de femmes chez Dabadie, . On peut trouver beaucoup de similitudes entre le personnage joué par Danièle Delorme dans "un éléphant" et celui de Léa Massari dans "les choses de la vie" : toutes deux sont trompées, mais dignes, belles, braves.
Sur le site de Première, on trouve une courte interview de Bourseiller qui évoque son rôle dans "un éléphant". je ne résiste pas à en reproduire un extrait ici :
"À l’époque, j’étais un jeune gauchiste un peu sentencieux. En m’observant, Yves et Jean-Loup ont eu l’idée de m’écrire un rôle sur mesure sans me le dire. Lucien, c’était moi ! Par des indiscrétions, j’ai appris ce qu’ils tramaient et me suis rendu dans les bureaux parisiens d’Yves, rue Marignan. J’ai été impressionné par la méticulosité avec laquelle ils travaillaient, on aurait dit des profilers qui affichaient leurs réflexions sur les personnages sur un grand tableau punaisé de partout... Yves et Jean-Loup incarnaient sur ce point un peu l’envers de la Nouvelle Vague que j’avais bien connue avec Godard. Un dialogue de Jean-Loup, il fallait le dire à la virgule près ! Pas question d’improviser. C’était l’homme de la formule choc."