Made in France II #1
"Le cinéma français c'est de la merde !", "Les films de guerre français ça existe ?"... Vous en avez marre d'entendre systématiquement les mêmes reproches envers le cinéma français ? Alors cette rubrique est faites pour vous. Après un premier tour de piste déjà bien gargantuesque (75 films abordés), il était temps de passer au second volume de Made in France. Les films français de qualité ne manquent pas, qu'ils soient des 80's ou des 2000's. L'occasion d'évoquer des films français ou réalisés par des français que j'aime à divers degrés ; ou même quelques curiosités qui mériteraient un peu plus de visibilité. Pour cette première édition de l'année, revenons sur un grand cinéaste qui nous a quitté récemment, Bertrand Tavernier. En ces temps de confinement partiel, voici trois films à (re) découvrir !
- Un dimanche à la campagne (1984)
- L'appât (1995)
En 1995, Bertrand Tavernier revient de La fille de d'Artagnan (1994), production de cape et d'épée cauchemardesque où il a dû virer le réalisateur Riccardo Freda à contre-cœur et faire face à une star particulièrement capricieuse (Sophie Marceau en l'occurrence). L'appât apparaît en apparence comme un projet plus calme et pourtant Tavernier s'attaque à un sujet brûlant : l'affaire Hattab-Sarraud-Subra. Des faits survenus dans les 80's avec un trio de malfaiteurs s'en prenant à des personnes riches pour les dépouiller et les tuer. Morgan Spottès s'était inspiré de l'histoire pour un roman publié en 1990 et Tavernier s'est également basé sur ce livre pour le film. Une attention qui n'a pas forcément plu à l'une des criminels, Valérie Subra, se sentant victime d'une aura médiatique omniprésente au fil des ans à cause du procès et des sorties successives du roman et du film.
Il faut dire que malgré le changement de noms, L'appât se révèle assez fidèle à l'affaire avec des portraits, des faits, des stratagèmes et même des phrases similaires. Preuve d'un travail de recherche certain de la part du couple Tavernier (Bertrand est accompagné de sa femme et fidèle collaboratrice Colo) jusque dans ce moment où l'héroïne demande au policier en chef si après avoir signé sa déposition, elle sera vite libérée pour fêter Noël en famille. Une inconscience qui se ressent tout le long du film à travers des personnages ne se rendant pas compte de ce qu'ils ont fait, continuant leurs méfaits comme si de rien n'était, rendant leurs actes d'autant plus dérangeants. Le tout allié au jeu de Marie Gillain, montrant une jeune femme participant à des actes crapuleux, tout en ne prenant pas conscience de ce qu'elle fait.
La preuve là encore avec le deuxième crime où elle regarde la télévision pendant que la victime se fait taper dessus, avant de quitter les lieux pour aller chez sa mère, laissant les autres finir le travail. Un aspect qui sera évoqué lors du procès (non-présent durant le film, Tavernier terminant sur les aveux), certains ne comprenant pas pourquoi la coupable serait jugée de manière plus indulgente que ses camarades alors qu'elle participait à la préparation et en partie aux actes mêmes. Tavernier montre également une jeunesse perdue qui ne voit d'autres échappatoires que la criminalité. Pas de boulot, aspiration à des jours meilleurs, abandon parental, argent qui manque... Rien n'est laissé de côté et ce durant une exposition suffisamment longue pour comprendre les enjeux à venir.
D'autant que le réalisateur ne va pas forcément dans le polar ou le thriller pur, mais plutôt vers la chronique sociale allant progressivement vers la criminalité. Ce qui rend le traitement d'autant plus fascinant et passionnant à suivre. Un Ours d'or largement mérité.
- Capitaine Conan (1996)
Après La vie et rien d'autre (1989), Bertrand Tavernier s'intéressait à nouveau à la Ière Guerre Mondiale avec cette adaptation du roman de Roger Vercel (1934). Cette fois-ci, il nous plonge sur le front et en particulier dans les Balkans. Une partie souvent peu évoquée de la Grande Guerre, confirmant que les combats ne se sont pas arrêtés le 11 novembre 1918 et se sont perpétués durant quelques mois supplémentaires sur différents territoires. Capitaine Conan s'intéresse au personnage joué par Philippe Torreton, un guerrier pur et dur se battant en grande partie au corps à corps et au couteau. Le souci est que le côté impulsif de ses hommes et lui se confirme également lorsqu'ils sont inactifs en pleine Roumanie.
Tavernier montre alors les deux faces de mêmes personnages : d'un côté, Conan grand héros de guerre aux mœurs douteuses, de l'autre son ami, le lieutenant Norbert (Samuel Le Bihan), qui finit par s'attaquer aux hommes de Conan en devenant commissaire-rapporteur. Les liens si forts entre les deux personnages vus en début de film se désagrègent au fur et à mesure, avant un retournement de situation. Il en est de même pour le lieutenant de Scève (Bernard Le Coq), dont le portrait est bien différent en début et en fin de film. Les batailles sont souvent plus sauvages avec Conan et ses hommes, là où elles sont plus spectaculaires avec Norbert.
Cette différence se confirme également par la conclusion qui est sans appel. Comme le dit Conan deux fois au cours du film, il y a les siens qui ont vécu la guerre et les autres qui l'ont fait. Autant dire que les premiers ont peut-être été les plus traumatisés une fois la guerre terminée, guerriers endormis n'ayant plus rien à faire si ce n'est se souvenir d'un temps révolu. Torreton (césarisé pour l'occasion) y trouve un rôle génialement charismatique et Le Bihan s'en sort plutôt bien.
A la prochaine !