"Le cinéma français c'est de la merde !", "Jean-Pierre Bacri à part râler il faisait quoi au cinéma ?"... Vous en avez marre d'entendre systématiquement les mêmes reproches envers le cinéma français ? Alors cette rubrique est faites pour vous. Les films français de qualité ne manquent pas, qu'ils soient des 2010's ou des 90's. L'occasion d'évoquer des films français ou réalisés par des français que j'aime à divers degrés ; ou même quelques curiosités qui mériteraient un peu plus de visibilité. Pour cette nouvelle édition, revenons sur trois grands du cinéma qui nous ont quitté ces derniers mois, Michael Lonsdale, Jean-Claude Carrière et Rémy Julienne. En ces temps de confinement partiel, voici trois films à (re) découvrir !
- Le nom de la rose (Jean-Jacques Annaud, 1986)
Après avoir signé le film référence sur la Préhistoire avec La guerre du feu (Roland Emmerich a essayé, il s'est cassé une jambe), Jean-Jacques Annaud se lançait dans un autre défi : adapter le best-seller d'Umberto Eco (1980). Une tâche ardue qui se confirme dès le casting. Au départ, Sean Connery n'est pas voulu par Annaud qui ne veut pas d'une star en tête d'affiche, encore moins par Eco et des producteurs. Ces derniers le croient alors sur le déclin et encore trop proche de 007, alors qu'il en a définitivement fini avec l'agent du MI6 depuis Jamais plus jamais (Irvin Kershner, 1983) et surtout a aligné une pléthore de rôles totalement différents au fil des années. Mais Connery insiste et il aura gain de cause, trouvant un de ses rôles emblématiques. Un Sherlock Holmes moine charismatique et aux idéaux bien particuliers à une période où le silence est d'or, sous peine de passer pour un hérétique.
Le bossu Salvatore doit au départ être joué par Franco Franchi, mais ce dernier refuse de se tondre pour le rôle. Annaud opte alors pour Ron Perlman, acteur qu'il avait dirigé sur son précédent film et qui était sur le point d'arrêter sa carrière, ne trouvant pas de rôles. Lui aussi trouve un rôle en or, simplet accusé à tord des crimes dans une folie furieuse ecclésiastique. Un personnage qu'il incarne avec une certaine sensibilité, loin du bourrin Hellboy. Un coup de projecteur qui fera exploser sa carrière, puisqu'il deviendra la Bête dans la série La belle et la bête (1987-90) avec Linda Hamilton peu après. Il n'est pas le seul à bénéficier d'un accélérateur de carrière, puisque Christian Slater explosera également après la production du film avec Heathers (Michael Lehmann, 1989) ou Robin des bois prince des voleurs (où il retrouvera Connery le temps d'une scène).
Au final, Le nom de la rose sera un franc succès avec 77 millions de dollars de recettes et près de 5 millions d'entrées en France. Bien qu'il possède des fonds français (le film est une coproduction entre la France, la RFA et l'Italie), il reçoit le César du meilleur film étranger en 1987, ainsi que des Baftas pour meilleurs acteur (pour Connery) et maquillages et coiffures (pour Hasso von Hugo). Le nom de la rose est déjà un bon récit à enquête, mais ce qui le rend atypique est bien évidemment le lieu et l'époque dans lesquels il se déroule. L'abbaye est en apparence sans problème, mais petit à petit, les langues se délient, provoquant une série de meurtres tous plus crapuleux et où la lâcheté de certains se fait ressentir (le personnage de Michael Lonsdale notamment). A cela rajoutez l'Inquisition dans tout ce qu'elle a de cupide et cruelle avec un F Murray Abraham curieusement endiablé.
Ce qui donne une ambiance pesante sur tout le film, alimentée par une musique très particulière de James Horner. A cela rajoutez une scène d'amour fiévreuse où l'on sent qu'il se passe quelque chose entre Slater et Valentina Vargas. Ce qui rend la scène d'autant plus marquante. Pour les curieux, une adaptation a été faites en 2019 pour la télévision avec John Turturro, Damian Hardung et Rupert Everett dans les rôles de Guillaume de Baskerville, Adso de Melk et Bernardo Gui.
- Cyrano de Bergerac (Jean-Paul Rappeneau, 1990)
Depuis 1959, Jean-Paul Rappeneau s'est imposé comme un scénariste phare du cinéma avec Zazie dans le métro (Louis Malle, 1960), L'homme de Rio ou Le Magnifique (Philippe de Broca, 1964-73) à son actif. On lui connaît également une belle carrière de réalisateur, notamment avec Les mariés de l'an II (1971), Le Sauvage (1975) et bien évidemment Cyrano de Bergerac. Un projet qui s'inscrit dans le film de cape et d'épée, genre qui a eu ses lettres de noblesse en France avant de s'étioler un peu depuis la fin des 70's. Cyrano marqua un retour au genre avec un succès fort, que ce soit en France (4,7 millions d'entrées) ou ailleurs. Ce qui s'est également ressenti dans ses récompenses, puisque outre les Césars (10 au total), Cyrano a eu pas mal de nominations aux Oscars et en a même récupéré un (meilleurs costumes pour Franca Squarciapino).
Il aurait même pu aller plus loin, si une interview du Time n'avait pas été mal traduite visiblement. Gérard Depardieu disait avoir vu un viol lorsqu'il avait 9 ans, ce qui a été traduit par "assisted" qui va plus dans le sens de participer. Une question qui faisait allusion à une vieille interview de 1978 où il évoquait sa jeunesse. Il aura beau démentir, on sait à quel point les ricains sont amoureux du bad buzz, notamment dans la course aux récompenses où tous les coups sont permis (demandez à Harvey, il connaît bien la chose). Ce qui n'empêchera Depardieu d'obtenir des rôles dans des films ricains, notamment dans un autre film de cape et d'épée L'homme au masque de fer (Randall Wallace, 1998). Bien aidé par le fait que la pièce d'Edmond Rostand (1897) soit tombé dans le domaine public, le budget a pu être mis dans le casting et les décors, le tournage se déroulant aussi bien en France qu'en Hongrie.
Car l'air de rien, Cyrano était une production risquée avec l'équivalent de 15 millions d'euros de budget. Un budget qui semble avoir été plus que bien utilisé au vue d'une reconstitution d'époque généreuse (notamment les scènes de bataille) et de ses superbes costumes. L'adaptation fut bien évidemment particulière, la pièce durant habituellement quatre heures, il fallait donc couper dans le texte pour faire un film d'une durée plus acceptable. Une tâche dont s'est chargé Rappeneau en compagnie de Jean-Claude Carrière. Un travail d'autant plus ardu qu'il s'agissait de faire toutes les répliques en vers à la manière de la pièce. Il faut peut-être un petit temps d'adaptation aux spectateurs, mais généralement une fois lancé, il n'y a plus de souci pour suivre le reste du film. L'ironie veut que ce soit un des rares Césars que n'a pas eu le film, coiffé au poteau par La discrète (Christian Vincent, 1990), alors que le travail d'adaptation est une des plus grandes qualités du film.
A cela rajoutez un casting optimal, allant d'un Depardieu en grande forme à une excellente Anne Brochet. Même Vincent Perez se révèle particulièrement convaincant, alors que son jeu d'acteur habituel est plus synonyme de catastrophique. La musique de Jean-Claude Petit se révèle également convaincante, avec même parfois des accents de Batman de Danny Elfman (1989). Rien d'anodin puisque Rappeneau avait demandé à Petit de lui mettre un passage à la manière d'Elfman sur une suggestion de son fils Martin. Chose qui s'entend assez facilement. Petit évoqua par la suite qu'un avocat était venu lui en parler et qu'il avait répondu qu'Elfman avait fait allusion à sa partition de Jean de Florette (1986) sur un de ses morceaux, stoppant ainsi toutes éventualités de problèmes. Cyrano est une grande réussite qui a relancé le genre durant quelques années. Le souci étant que ces films étaient souvent chers et que les résultats au box-office pas toujours à la hauteur, voire catastrophiques.
On pense à La reine Margot (Patrice Chéreau, 1994), à La fille de D'Artagnan et à La princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier (1994-2010), au Hussard sur le toit (également réalisé par Rappeneau et adapté par Carrière), à Philibert (Sylvain Fusée, 2011), Blanche (Bernie Bonvoisin, 2002) et aux remakes du Bossu (De Broca, 1997), de Fanfan la tulipe (Gérard Krawczyk, 2003) et d'Angélique marquise des anges (il faut parfois évoquer à nouveau l'existence de certaines choses). A voir ce que donnera le dyptique sur Les trois mousquetaires par Martin Bourboulon à l'avenir.
- Le Marginal (Jacques Deray, 1983)
Depuis la fin des 70's, Jean-Paul Belmondo accumule les comédies et les films d'action. Des productions où il arbore souvent son cuir noir favori et accumule les cascades périlleuses en compagnie de Rémy Julienne. Mais pas toujours pour le meilleur à l'image du Professionnel, catastrophe où le scénario n'était pas à la hauteur et très douteux (1981). Le Marginal aurait pu surfer sur la vague nauséabonde engendrée par le film de Georges Lautner (il s'agit également d'un polar où il savate et dézingue à tour de bras, entre deux poursuites) et pourtant non. Jacques Deray signe un duel à distance entre Bebel le flic incorruptible et Henry Silva (dont Steven Seagal a fait craquer le bras dans Nico) le trafiquant de drogue intouchable. A distance car ils ne se croiseront que dans une scène précise, Bebel s'attaquant aux sbires de Silva durant le reste du film.
Le Marginal ne fait pas partie des meilleurs films de Bebel, mais c'est un polar qui fonctionne du tonnerre et où l'acteur semble s'amuser. D'autant que le scénario tient la route et aligne les moments de bravoure. Tout d'abord cette baston en plein bistro aussi fun que fracassante, où le pauvre George aura bien du mal à faire cuire son steak. Puis il y a cette monumentale course-poursuite en plein Paris gérée par Julienne, où Deray rend hommage à Bullitt (Peter Yates, 1968) en utilisant la fameuse Ford Mustang. Une scène pleine de hargne, sans musique et rythmée par le bruit des moteurs. Un morceau d'anthologie. N'oublions pas non plus l'excellente musique d'Ennio Morricone, dont le thème reste longtemps en tête.
On regrettera toutefois l'intrigue sentimentale avec Carlos Sotto Mayor qui ne sert à rien dans le récit. Deray et Bebel ont à nouveau collaboré par la suite sur Le Solitaire (1987), mais le résultat n'était pas à la hauteur du Marginal.
A la prochaine !