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5 janvier 2019

Terry Gilliam a enfin trouvé ses moulins à vent

Un réalisateur tourne une nouvelle adaptation de Don Quichotte des années après un film étudiant sur le même thème qu'il a réalisé. Il tombe alors sur l'acteur de son premier film, persuadé d'être Don Quichotte. L'occasion d'un drôle de voyage entre fiction et réalité...

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Il y a des projets qui ne veulent pas mourir. C'est typiquement ce que l'on pourrait dire de L'homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam. Un premier signe prémonitoire pouvait se présenter. En effet, si des réalisateurs ont déjà adapté le roman de Miguel de Cervantes (1605-1615), certains s'y sont cassés les dents avant le Monty Python. Ainsi, un certain Orson Welles n'avait pas pu terminer son film faute de financements, avant que les rushes ne soient remontés à la sauce Jess Franco en 1992. Dans le documentaire Lost in la Mancha (Fulton, Pepe, 2002) revenant sur la production avortée de la première mouture de L'homme qui tua Don Quichotte, il est dit que Terry Gilliam a commencé à travailler sur son adaptation en 1991, soit peu de temps après l'accident industriel Les aventures du baron de Munchausen (1988). 

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Un budget largement dépassé (plus de 46 millions de dollars, soit une belle somme à l'époque) à cause de problèmes en tous genres pour un four commercial total (8 millions de dollars rien qu'aux USA). Par la suite, Gilliam aura de plus en plus de mal à trouver des budgets venant de grands studios hollywoodiens. Son salut viendra de films mieux accueillis comme L'armée des douze singes (1995) et Las Vegas Parano (1998). Début 2000, il envisage définitivement de se lancer dans les aventures de Don Quichotte. Hollywood ne voulant pas le produire, il lance le projet en Europe dans le but de le tourner en Espagne. Un financier parti, le budget passe de 40 à 32 millions de dollars. Le projet se lance sur un casting comportant Jean Rochefort en Don Quichotte ; Johnny Depp en publicitaire nommé Tony que Quichotte prend pour Sancho Panza ; et Vanessa Paradis en Dulcinée Altisidore. 

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Les acteurs ont baissé leurs cachets afin de soutenir la production, mais la présence de Depp et Paradis s'est fait attendre et a entraîné un manque de préparation. Quant à Rochefort, il s'est préparé en apprenant l'anglais durant sept mois. Le choix de Rochefort était d'autant plus judicieux qu'il est alors un excellent cavalier et un amoureux des chevaux. Le tournage débute à Las Bardenas, une réserve naturelle située à quatre heures de Madrid. Un surcoût se rajoute car l'équipe devait être logée sur place. Un premier problème se présente quand Gilliam découvre que les figurants ne sont pas prêts, en partie car ils n'étaient pas présents lors des répétitions. Il passe alors à une autre scène pour ne pas perdre de l'argent et du temps, mais il se retrouve confronté à des essais aériens.

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En effet, l'assistant-réalisateur Philip A Patterson avait évoqué peu de temps avant dans le documentaire qu'une base de l'OTAN testait des bombes une heure par jour. Coïncidence ? Probablement pas. Un orage éclate le second jour, dégradant le décor naturel (il n'était plus raccord un jour plus tard avec le décor présent dans les rushes déjà tournés). Un premier problème lié aux assurances arrive, puisque le film est assuré pour des dégâts matériels, mais pas forcément pour les catastrophes naturelles. Rochefort se fait mal le sixième jour. Ce sera finalement une double hernie-discale, ce qui l'empêchera définitivement de chevaucher jusqu'à sa mort l'an dernier. A partir de là, Gilliam sent qu'il va perdre son film, tout simplement parce que le projet a trouvé des investisseurs sur la caution "Gilliam / Depp / Rochefort". Un de ces acteurs en moins, le film devrait être budgeté à nouveau. 

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Le projet s'est arrêté là, les rushes tournés finissant chez les assureurs. Un fait que le documentaire n'évoque pas est pourtant le plus grave, au point de s'étonner que Gilliam n'a pas eu de problème avec les associations des animaux. En effet, comme en témoignait régulièrement Rochefort de son vivant (notamment dans le numéro de l'émission Un jour, un destin qui lui était consacré), sa monture a été affamé dans la volonté de la montrer véritablement maigre sans passer par des effets-spéciaux. Rochefort avait dit à Laurent Delahousse ceci : "Les gens autour de moi, croyant que je ne savais pas monter à cheval, avaient des pommes attachées dans le dos pour que j'avance. Je ne comprenais pas pourquoi le premier jour. Et puis après j'ai compris.". Gilliam nia plus ou moins ces dires, arguant que Rochefort ne lui reprochait jamais cela lorsqu'ils se voyaient. 

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Si Gilliam dit que la jument est morte bien longtemps après la fin du tournage, Rochefort évoque davantage le jour suivant son accident. Un drame qui rendait l'acteur irréconciliable avec le réalisateur de ses dires. Gilliam finit par récupérer les droits de son scénario en 2008. En 2010, il annonce Ewan McGregor et Robert Duvall dans les rôles principaux, mais le réalisateur perd vite ses sources de financements. En 2014, il relance le film avec feu John Hurt et Jack O'Connell, mais il perd à nouveau ses financiers. Sans compter qu'Hurt étant déjà malade, les compagnies d'assurance ne veulent pas le prendre en charge. C'est là qu'arrivent les conflits entre Gilliam et le producteur Paulo Branco. Adam Driver et l'ancien complice de Gilliam Michael Palin sont engagés en 2016. Branco semble vouloir avoir la main mise sur le projet, au point de faire fuir des partenaires financiers comme Amazon Studios.

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Bannière effectuée à l'époque où Michael Palin devait jouer Don Quichotte.

Le producteur et le réalisateur entrent alors en plein bras de fer et Gilliam part chercher d'autres partenaires financiers, laissant de côté Branco. Palin quitte le projet, laissant sa place à un autre fidèle de Gilliam, Jonathan Pryce. Là miracle, le projet se concrétise enfin. Le film est entièrement tourné l'an dernier, mais Branco revient à la charge devant les tribunaux. Il échoue à empêcher le tournage du film, puis son exploitation comme sa présentation au Festival de Cannes (se payant même un petit scandale au Marché du film). Si certains jugements ont joué en sa faveur, sa non-participation financière au film fini n'aide pas et il se pourrait bien qu'il n'a en fait aucun droit sur le scénario du film en l'état. Un conflit complexe autour de gros sous qui risque encore de s'envenimer dans les mois à venir. 

Résultat de recherche d'images pour "PAULO BRANCO VS GILLIAM" 

Paul Branco et Terry Gilliam avant le clash. Jusqu'ici tout va bien...

Si le film n'a quasiment rien rapporté (1 million de dollars récolté dans le monde), il n'en reste pas moins le meilleur film de Gilliam depuis 12 monkeys. Pas dur car en dehors de certains aspects visuels, Las Vegas Parano ou Les frères Grimm (2005) étaient des films globalement mitigés. Avec L'homme qui tua Don Quichotte (2018), il retrouve le grain de folie qu'il n'avait plus, tout comme une écriture passionnante. Le film final n'est d'ailleurs pas si différent du film que devait réaliser Gilliam en 2000. Le héros s'appelle toujours Tony et a tourné des publicités (Driver). S'il ne voyage plus dans le temps, il rencontre toujours Don Quichotte ou plutôt un acteur qu'il a fait tourner et étant persuadé d'être le héros de Cervantes (Pryce). Tony devient alors son Sancho Panza. La scène des géants à la fin est basée sur une des rares scènes tournées en 2000.

L'Homme qui tua Don Quichotte : Photo Adam Driver, Jonathan Pryce 

Comme la cascade présente dans le film est probablement la même qui servait à la scène où Depp péchait autrefois. Inévitablement, Tony apparaît souvent comme une forme de double de Gilliam. Après tout, nous suivons un réalisateur qui a commencé petit, s'est fait remarqué avec un film avant d'y revenir. Gilliam est bien revenu à la charge des années après son échec. Mais on peut également faire un parallèle avec sa propre carrière. Il a eu une belle ascension avec les Monty Python, mais il a eu des problèmes (notamment avec Universal qui a distribué le film aux USA) sur sa première grosse production (Brazil, 1985). Toutefois, sa vision a été salué et lui a permis d'être demandé sur des projets ambitieux, à l'image de l'adaptation de Watchmen (Moore, Gibbons, 1986-87) qu'il ne fera pas car trop difficile à adapter (il parlait à la rigueur d'en faire une série). 

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Même si Gilliam a toujours gardé une bonne réputation à cause de l'aspect visuellement fort de son oeuvre, le bide de Munchausen, la déconvenue de 2000 ou même la mort d'Heath Ledger durant le tournage de L'imaginarium du docteur Parnassus (au point de changer considérablement le scénario initialement prévu) ont impacté considérablement sa carrière en mal. Avec Tony, le réalisateur dévoile un jeune talent perdu, qui a vu trop gros et s'en rend compte sur place. Les hésitations de Tony sur plusieurs aspects du film ne sont pas sans rappeler ce passage du documentaire où Gilliam semble être le seul convaincu par l'idée de marionnettes à taille humaine (qui finalement ne seront pas utilisées).

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De la même manière, Gilliam semble se questionner lui-même sur sa volonté de vouloir à tout prix adapter Don Quichotte, comme si réaliser un film sur le sujet ne devenait pas une aventure où le réalisateur perd la tête. Où son amour pour le sujet n'en devient que trop grand, au point d'éclabousser tout le reste. Ce qui se ressent par des sous-intrigues qui prennent de la place au fil du film, à l'image d'une romance digne de ce nom et d'une autre où seul un intervenant semble intéressé. Comme de montrer finalement deux mondes : ceux des passionnés et des cyniques. Dans un premier temps, Tony apparaît comme un cynique, se complaisant dans un statut de starlette qu'il va délaissé pour revenir à ses premiers amours. Il rejoint ainsi ce vieil acteur comme son ancienne dulcinée, la belle Angelica (Joana Ribeiro).

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Les cyniques sont ici représentés par ceux qui ne veulent croire en rien, si ce n'est à l'argent. Une chose qui leur permet de montrer qui ils sont, quitte à rabaisser ce qui n'est pas comme eux. C'est le cas de Jordi Molla qui fait d'Angelica son amante, mais aussi une sorte d'esclave qu'il peut punir car il est puissant. Le point de vue de Gilliam peut paraître très naïf, mais sur le mode de la fable (ce qu'il confirme par plusieurs moments comme ce bal costumé grotesque) il s'avère plutôt pertinent. Le film peut également s'aider de la dynamique particulière du duo Adam Driver / Jonathan Pryce. L'ami Kylo Ren se révèle très convaincant en réalisateur retrouvant le grain de folie qui faisait sa personnalité autrefois (tiens, ne serait-ce pas encore un point commun avec Gilliam comme précedemment dit ?).  

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Quant à Pryce, il est à la fois hilarant, puissant et émouvant dans la peau de cet homme persuadé qu'il est Don Quichotte. Pryce n'était peut-être pas le premier choix, mais il n'en reste pas moins que son interprétation fiévreuse est pour beaucoup dans la réussite du film. On peut toutefois regretter que le film soit un peu long dû à un côté parfois foutraque, tout comme un mélange entre fiction et réalité qui peut parfois perdre le spectateur. Il n'en reste pas moins que le voyage valait bien plusieurs années de gestation. 

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Commentaires
B
Au détriment d'avoir signé son meilleur film depuis bien longtemps.
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S
Jouissif ! Mais on décèle par-ci par-là les nombreuses coupes et montages-remontages qui font qu'on a cette sensation presque mélancolique que Gilliam ne pourra jamais nous offrir le chef d'oeuvre qu'il aurait dû être...
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B
Pour le coup c'est certainement ce que j'ai vu de mieux de Gilliam depuis Twelve monkeys. Un petit miracle en soi. Le film a ses défauts, notamment quelques longueurs, mais je n'ai pas boudé mon plaisir.
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S
Enfin ! Si la folie Gilliamienne est bien au rendez-vous on décèle toutefois plusieurs fois des instants plus ou moins fugaces où on devine les tergiversions que le cinéaste a dû subir depuis les années... Un bon film, savoureux et jouissif mais bancal malheureusement...
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A
à borat : ah bon, tu ne vas plus du tout sur son site ? Je l'ignorais...
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