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  • Sur ce blog, je vous parlerais de cinéma (plus de 2500 films cultes comme navets abominables, ainsi que son actualité), de séries, de bandes dessinés (mangas, comics ou franco-belge), de jeux vidéo et de rock!
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21 octobre 2015

Cuvée des curiosités #2

Seconde et dernière cuvée consacrée à Guillermo del Toro dans la Cave de Borat. Let's go ! (Attention spoilers)

  • Pacific rim (2013) : Retour en enfance

Pacific rim (affiche Imax)

Affiche réalisée par Sergio Grisanti.

Si Hellboy 2: Les légions d'or maudites (2008) n'a pas été le succès espéré, l'accueil critique est beaucoup plus positif que pour le premier opus. Le prestige récolté par Le labyrinthe de Pan (2006) comme les critiques élogieuses d'Hellboy 2 aident finalement Guillermo del Toro à monter des projets colossaux. Mais avec des projets aussi ambitieux, Del Toro va vite se retrouver avec deux échecs de production malheureux. On annonce très rapidement le réalisateur de L'échine du diable aux commandes du Hobbit. Une préquelle en deux opus du Seigneur des anneaux (2001-2003) chapeautée par un Peter Jackson cherchant à trouver un nouveau point de vue autour de la Terre du milieu. Travaillant sur le scénario, les concept-arts, s'installant au pays des All Blacks durant deux ans pour être au plus proche des équipes de Jackson à Weta, le réalisateur se voit confronter indirectement à la banqueroute de la MGM. Des films tournés ne peuvent pas sortir (La cabane dans les bois de Drew Goddard et le remake de L'aube rouge par Dan Bradley) et les projets en cours sont stoppés. 

Guillermo del Toro et Peter Jackson 

Celui qui a fait et celui qui a failli faire The Hobbit.

Ce qui fut le cas de Skyfall (Sam Mendes, 2012) et de The Hobbit. Del Toro finit par jeter l'éponge en mai 2010, voyant que le projet n'avançait plus. Ne voulant pas voir les films terminés, le réalisateur préfère évoquer sa bonne expérience : "Peter et moi sommes restés amis, et c'est tout ce qui importe. Je ne veux pas me retrouver dans une position où je devrais faire des comptes de ce qu'ils ont gardé, et de ce qu'ils ont changé. Ce serait un exercice stupide et irrespectueux. Ces films appartiennent à Peter, désormais. Je ne veux pas les regarder de la même manière qu'on n'a pas envie de regarder les films de vacances de son ex-femme. Je suis content que la trilogie ait fini par se faire. J'ai passé une excellente année en Nouvelle-Zélande, à concevoir cet univers. (...) Je n'ai pas le moindre ressentiment, contrairement à ce que les gens pensent. (...) Ce que j'aime au final, c'est qu'il existe aujourd'hui six films issus du même esprit créatif. On peut regarder l'ensemble de la saga, depuis Un voyage inattendu jusqu'au Retour du roiet la narration se tient. (...) [Peter Jackson] sera toujours vu comme l'interprète cinématographique de JRR Tolkien. Ça, c'est mieux que de fantasmer une version qui aurait pu se faire." (*). 

The Book of life (concept-art 1)

Concept-art pour The Book of life, production de Guillermo del Toro signée Jorge C Gutierrez.

Le plus malheureux est tout de même de se dire que tout a commencé à bouger à partir du moment où le réalisateur est parti du projet. A croire que le mexicain n'a pas volé son surnom de "réalisateur de la malchance", au même titre que celui de "réalisateur aux mille projets". Entretemps, il s'attaque à la trilogie The Strain co-écrite avec Chuck Hogan entre 2009 et 2011, avant de devenir une série télévisée sur la chaîne FX (2014-2017). L'occasion de continuer le processus de vampirisation que Del Toro avait déjà exploité sur Blade 2 (2002). Le réalisateur a essayé de lancer une série sur Hulk en 2012, mais vu que Marvel ne voulait rien faire avec le personnage (ce qui est toujours le cas, le studio ne veut pas lancer un stand-alone movie), le projet a été abandonné. Depuis quelques années, Guillermo del Toro parle d'une nouvelle série "Carnival Row" en collaboration avec Amazon et Legendary, soit l'histoire d'un policier traquant un tueur en série à l'époque victorienne, avec des créatures surnaturelles en bonus. Ce qui ne s'est toujours pas fait au contraire de la série animée Troll Hunters pour Netflix (2016-). 

image006

Le réalisateur s'impose surtout comme un producteur à succès aussi bien sur le sol hibérique (L'orphelinat de JA Bayona, Les yeux de Julia de Guillem Morales) qu'américain (Mama d'Andres Muschietti et dans une moindre mesure Don't be afraid of the dark de Troy Nixey). Depuis les 2010's, Del Toro s'invite également dans l'animation en partenariat avec Dreamworks. Si l'on se demande bien où est son identité dans un Kung fu panda 2 (Jennifer Yuh, 2011), ses rapports avec Le Chat Potté de Chris Miller (le conte, mais aussi ses racines latines) et Rise of the guardians de Peter Ramsay (le conte, le ton plus mature, l'imagerie visuelle...) sont beaucoup plus évidents. The Book of life (Jorge R Gutierrez, 2014) n'aura pas eu le succès escompté (comme Rise of the guardians), mais il permit à Guillermo del Toro de revenir aux coutumes mexicaines avec cette histoire autour de la fête des morts. Guillermo del Toro est annoncé sur Harry Potter et les reliques de la mort comme ce fut le cas sur le précédent opus, mais ne donne pas suite. A ce moment, il travaille sur un projet qui lui est cher depuis vingt ans : adapter Les montagnes hallucinées (HP Lovecraft, 1936).

Les montagnes hallucinées (couverture)

Couverture française des Montagnes hallucinées d'HP Lovecraft.

"Juste après Cronos, j'en ai écrit une version qui se passait pendant la conquête du Nouveau Monde : un groupe de conquistadors découvrait les ruines maya et trouvaient une autre cité en-dessous. Je l'ai toujours en tête. En termes d'imagination et de création de mondes, c'est l'un des mes projets les plus fascinants. Mais c'est aussi un film d'horreur très commercial, à mon avis." (**). Le projet semble enfin prendre forme après 2010. Il trouve un studio (Universal), deux acteurs principaux (Tom Cruise et Ron Perlman), un producteur de renom (son ami de longue date James Cameron), accumule les concept-arts et storyboards, fait des repérages de décors... Tout se passe bien jusqu'à ce qu'Universal stoppe tout. La raison ? Ils ne veulent pas produire un film de 150 millions de dollars avec la classification Restricted. Même cas de figure pour le projet "Bioshock" de Gore Verbinski à la même époque. Del Toro a évoqué l'idée de le faire en PG-13, comme une possible association avec Legendary (bien aidé par ses relations avec Thomas Tull, ainsi que le rattachement de Legendary à Universal depuis 2013).

Pacific rim (carnet) 

Concept-arts réalisés par Keith Thompson et Guillermo del Toro.

Mais pour l'instant, rien de véritable à l'horizon sans compter un Tom Cruise toujours aussi occupé (même si ses relations avec Guillermo del Toro sont très bonnes, cf la postface du Cabinet de curiosités). Le salut de Guillermo del Toro en tant que réalisateur arrive par Legendary justement, qui lui propose un projet inédit non-issu de franchise : Pacific rim. Del Toro y voit l'occasion d'aborder un pan de films qu'il adore depuis toujours : les kaïju-eiga, genre mis en valeur par les franchises Godzilla (1954-) et Gamera (1965-2006), qui voient des monstres géants s'affronter. Le réalisateur se veut assez catégorique en ne voulant pas mettre en scène des robots et monstres déjà vus ou y ressemblant de loin. Pacific rim arrive comme un cheveu sur la soupe dans un été 2013 bourré de suites, de spin-off ou d'adaptations en tous genre et même si le film se rentabilise largement avec plus de 415 millions de dollars de recettes totales, il marche peu aux USA. Pacific rim est l'exemple type du film qui n'a pas parlé au public américain, mais bien plus au public international et particulièrement asiatique (à l'heure où les chiffres chinois défraient la chronique, ce n'est pas plus mal). 

Pacific rim (3)

Affiche réalisée par Paul Shipper.

Guillermo del Toro n'en reste pas moins amer, car les prévisions étaient plus élevées et les résultats sur le public excellents. Selon lui, il devait aller jusqu'à 600 millions de dollars de recettes. Le succès fulgurant de Moi, moche et méchant 2 (Coffin, Renaud) n'a pas aidé pour sûr. Beaucoup n'y ont vu qu'une concurrence aux Transformers de Michael Bay (2007-), il n'en est finalement rien. S'il y a un rapport à faire avec des oeuvres préexistentes, ce serait davantage avec la série animée Neon Genesis Evangelion (1995-96) ou les kaïju eiga, genre laissé en décrépitude depuis au moins Godzilla Final Wars (Ryuhei Kitamura, 2004). L'ouverture du film est éloquente. On croit voir des étoiles (bien aidé par la voix-off de Charlie Hunnam nous disant que tout le monde croyait que la menace viendrait du ciel), mais il s'agit en fait de bulles dans l'Océan Pacifique. Le décor est planté : l'intrigue se déroulera entre l'Asie de l'Est et la côte Ouest des USA et les kaïjus (qui sont assimilés à des aliens) arrivent par une brèche sous-marine. Par ailleurs, il n'y a à aucun moment un aspect renvoyant à l'Amérique : le film est totalement multiculturel à l'image de son réalisateur mexicain travaillant aux USA. 

Pacific Rim : Photo Charlie Hunnam, Rinko Kikuchi

Un film à l'image de son duo central : multiculturel.

Les personnages sont américains, japonais, russes, chinois... Pas même un foutu drapeau visible à l'écran. Comme le confirme le passage où Stacker Pentecost (Idris Elba) parle aux dirigeants du monde, tous sont traités d'égal à égal, sans réellement faire de distinction de nationalité. Toute la différence entre un très grand nombre de blockbusters qui tombent souvent dans l''America fuck yeah", ce moment où l'on valorise à outrance les USA ne serait-ce que par un drapeau bien mis en avant. Sur ce point, Del Toro a été catégorique notamment pour le final : "Quand j'ai fait Pacific rimj'ai été clair dès le départ avec le studio sur le fait que je ne voulais pas finir le film sur un drapeau flottant au vent, avec des gens en train d'applaudir tout autour. Je ne voulais pas faire un petit montage de plusieurs grandes villes du monde, avec des populations différentes en train de se réunir autour du même drapeau. Je voulais que ce triomphe ne soit pas diffusé à la télévision. Personne ne verrait les héros détruire la brèche, ça devait rester une victoire très privée." (*).

Pacific Rim : Photo

Un soucis du détail rare dans un blockbuster récent.

De même, l'ouverture est sans équivoque, présentant tout le mécanisme en quelques minutes : par flashs, nous voyons les kaïjus et leurs détructions, montrant l'impuissance du monde à réellement affronter ces créatures qui détruisent tout sur leur passage en plusieurs jours. Le remède : construire des robots géants pour les affronter. Del Toro nous montre alors qu'un seul pilote ne peut avoir la responsabilité d'un robot, sous peine d'en devenir malade (ce qui est le cas de Pentecost, saignant régulièrement du nez). Deux pilotes sont alors liés par la "dérive", élément permettant à chacun de se connecter à l'autre par leurs souvenirs (brillante idée au passage). En un peu moins de dix minutes, Del Toro explique tous les éléments nécessaires au spectateur dans les faits et le fonctionnement des outils, permettant ensuite d'aller directement au fait sur le reste du film. Désormais rôdé, le spectateur peut aller vers le spectacle. Le premier affrontement est en soi un effort d'une rare générosité graphique : la scène a beau se passer la nuit, sous la pluie, tout est lisible. 

Afficher l'image d'origine

Un exemple de la brutalité des kaïjus dans le film.

Del Toro et son chef-opérateur Guillermo Navarro osent là où le kaïju-eiga en reste souvent à peu de choses au niveau des détails (la mer à la rigueur, mais très souvent en plein jour ou alors aidé du noir et blanc). Il y a ici une profusion d'éléments pour un soucis du détail visuel (la sauvegarde d'un bateau devient un enjeu, les lumières, plus tard les immeubles, un bateau, des conteneurs...). N'ayons pas peur des mots, Pacific rim est certainement un des blockbusters les plus beaux visuellement parlant de ces dernières années avec Mad Max Fury Road (George Miller, 2015). Réussir à faire croire à des robots et à des monstres se foutant sur la tronche est une chose, réaliser un pur bijou visuel avec quasiment que des cgi en est une autre et Pacific rim en est la preuve. Pareil pour d'autres scènes particulières. La dérive de Mako (Rinko Kikuchi) démarre au sein du cockpit, avant que le personnage ne se retrouve dans un espace noir où la neige tombe. Ce moment-là sert à passer du présent au passé, avant d'aller directement au souvenir, moment émotionnel rare, ramenant en soi au frisson de la scène du t-rex de Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993).

Onibaba

Le salut viendra d'un robot géant, mais il n'en reste pas moins qu'avant cela, la petite fille s'est retrouvé seule face à un kaïju crabe qui ne demande qu'à la tuer dans un Tokyo réduit en cendres. La scène est percutante, comme l'est aussi celle avec le frère de Raleigh (Diego Klattenhoff) balayé d'un coup sec dans le hors-champ dans une violence fulgurante. Le film est PG-13 et pourtant un personnage vient de mourir brutalement sous les yeux du spectateur. Idem pour la séquence centrale de l'affrontement entre les quatre jaegers et les deux kaïjus. Les Hansen (Max Martini et Robert Kazinsky) assistent impuissants aux assauts meurtriers des kaïjus sur leurs camarades japonais et russes. L'assaut sur le jaeger russe est d'une violence immense, filmé en plan large pour montrer dans le moindre détail la brutalité de l'action. Del Toro ne ménage pas du tout ses personnages humains et réussit pleinement son coup par des chocs dramaturgiques et visuels fulgurants. Chaque intervention du Gipsy Danger est un bonheur monumental pour tout spectateur amateur de bourrage de pif de qualité et l'affrontement à Hong Kong répond à toutes les promesses de grand spectacle attendu, voire plus.

Pacific Rim : Photo Charlie Hunnam, Rinko Kikuchi

Deux héros compatibles et bien plus encore...

Ou comment prendre son pied durant un peu plus de deux heures. Là où Del Toro réussit aussi à faire accepter son postulat est en insérant l'Homme au sein de la machine. S'il y a une erreur, elle sera humaine, pas dû à une intelligence artificielle. Ce qui rend les drames autour des personnages d'autant plus intéressants. Le duo Raleigh-Mako n'en devient que plus attachant car ce sont deux outsiders. Tous les deux ont vu la mort en face (il a vu son frère mourir devant ses yeux, ses parents sont morts dans le drame de Tokyo), tous deux ne sont pas vu d'un bon oeil (il n'a pas piloté depuis cinq ans et a terminé sa dernière mission sur un drame ; elle n'a jamais piloté de jaeger et ses émotions lui jouent des tours). Mieux, Del Toro fait naître une histoire d'amour sans montrer baiser ou autres, mais par petites touches. C'est purement platonique : ils savent qu'ils se correspondent et ce dès le premier regard. Elle est impressionnée parce qu'il parle japonais, lui par le fait qu'elle soit franche. Del Toro ose même le gag du trou dans la porte où la jeune femme voit Raleigh torse nu en cachette. 

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Cela sera identique dans les autres scènes où le duo opère : la scène du dojo, leurs discussions, le moment où Raleigh prend sa défense face au fils Hansen et même le moment de la dérive. Il aurait pu être en colère, il finit par la réconforter. Avec Mako, le réalisateur et Navarro font même un tour de force : au début ses pattes bleus sont très sombres avant de devenir plus claires en ayant des émotions fortes, que ce soit avec Raleigh ou au combat. Une manière de montrer les émotions de la jeune femme avec simplicité. Les Hansen sont peut-être le cliché même du père et du fils mal assortis (le père est porté sur l'honneur, son fils en manque), mais cela fonctionne. Quant à Pentecost, il est le leader charismatique par excellence comme le confère son discours qui n'a strictement rien à voir avec celui du président américain dans Independence day (Roland Emmerich, 1996). Ici pas de patriotisme, juste un leader disant à ses hommes qu'ils vont devoir arrêter l'apocalypse. Les scientifiques (Burn Gorman et Charlie Day) sont peut être un peu lourds mais cela fonctionne tout de même à l'écran, idem pour le marchand incarné par Ron Perlman donnant lieu à des moments improbables à souer (son sort est en lui-même une merveilleuse blague). 

Pacific Rim : Photo

Le film est également l'occasion pour Guillermo Del Toro de se prêter à la 3D, même s'il s'agit d'une conversion. Durant plusieurs mois, il met un point d'honneur à ce qu'elle soit la meilleure possible, donnant lieu à des effets de profondeur flagrants et à une immersion fantastique (d'autant plus avec les détails fous présents dans les plans). Pacific rim est l'exemple typique du film que beaucoup croient bête et stupide, car le genre désormais le voudrait (doit-on encore dire que les premiers Godzilla n'avaient strictement rien de drôle ou fun ?), mais est en fait d'une richesse rare. Une suite a été rapidement annoncé mais malheureusement les vents ont à nouveau tourné. En effet, l'association entre Universal et Legendary a bousillé le projet de l'intérieur. Rappelons juste une chose : depuis Godzilla  (Gareth Edwards, 2014), Legendary n'est plus rattaché à Warner. Or, Pacific rim a été distribué par Warner. La querelle entre Universal, Warner et Legendary ne fait que commencer et a ruiné la production de Pacific rim 2 qui devait débuter en octobre 2015. Le projet fut en stand-by jusqu'en février 2016 où le scénariste Steven S Deknight (la série Daredevil) a été installé à la place du réalisateur avec finalement Universal et Legendary sans Warner.

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Là encore le bat blesse quand on voit que les trois studios sont en revanche d'accord pour les films Kong : Skull Island (Jordan Vogt-Roberts, 2017), Godzilla 2 et Godzilla vs King Kong. Alors que le film de Del Toro devait débuter sa production, on l'en empêche à cause d'une querelle qui réussit à se règler qu'une fois qu'il est parti. Del Toro a précisé ces derniers mois qu'il aurait dû attendre plusieurs mois avant de le tourner à cause de la main-mise de studios par le tournage de XXX Reactivated (DJ Caruso, 2017). Au final, il a préféré tourner The Shape of water (2017) pour Fox Searchlight, quitte à n'être qu'un vulgaire producteur sur Pacific rim Uprising qui sortira en mars prochain. Totalement incompréhensible et à l'image de la carrière de Del Toro entraperçu en début de cuvée : des projets ambitieux ruinés par les studios hollywoodiens. Surtout pour entendre après que les producteurs veulent une trilogie, alors que le réalisateur de départ avait déjà tout penser. 

  • Cronos (1993) : L'automate vampirique

Cronos : Affiche

Un peu d'histoire maintenant. L'histoire d'amour entre Guillermo del Toro et le cinéma commence évidemment par la cinéphilie, mais aussi en commençant très tôt à s'approcher des tournages. "J'avais réalisé beaucoup de courts-métrages en super 8. Jaime Humberto Hermosillo, l'auteur d'El Corazon de la nochevoulait fonder une école de cinéma. J'avais 16 ou 17 ans à l'époque, et j'ai participé à son projet. Nous avons crée une école, mais aussi un festival qui existe toujours aujourd'hui : le Guadalajara International Film Festival, ou FICG. (...) Son film, bien sûr, a été sélectionné dans ce festival. J'ai donc été assistant de production pour lui, ce qui m'a permis de rencontrer Gabriel Figueroa sur le plateau, qui était le plus grand directeur de la photographie de l'Histoire du cinéma mexicain." (*). Del Toro apprend auprès de lui au point d'acheter une de ses anciennes caméras et fin des 80's, il finit par être un des élèves du regretté Dick Smith après des années de galère au Mexique.

"Les professionnels ne voulaient pas m'aider. Je me souviens avoir visité un atelier d'effets-spéciaux, et ces types avaient caché les marques de leurs produits sur les bocaux." (**). "J'ai eu un accident de moto. Je suis resté au lit pendant trois semaines environ. J'en ai profité pour m'améliorer au dessin. J'ai envoyé quelques-uns de ces dessins, ainsi que des photographies de maquillages très sommaires à Dick Smith." (*).

Guillermo del Toro et Dick Smith

Guillermo del Toro et Dick Smith en octobre 2012.

La réponse ne s'est pas faites priée : "Je n'aime pas beaucoup ton travail, mais je comprends que tu as besoin de t'améliorer pour en vivre. Je vais donc t'apprendre l'art des maquillages spéciaux. Pas parce que tu vas devenir un génie, mais parce qu'il faut que tu casses ta croûte !" (*). L'occasion de croiser le tout jeune JJ Abrams et Rick Baker. Del Toro fut très reconnaissant envers le maquilleur de L'exorciste : "Sans Dick Smith, je n'aurais pas eu de carrière. Je le sais aujourd'hui. S'il ne m'avait pas donné les connaissances nécessaires pour réaliser Cronos, je ne serais pas là" *. Quant à ses courts-métrages Dona Lupe (1985) et Geometria (1987), il se révèle assez caustique envers eux :

"[Dona Lupe] m'a coûté 2000 dollars en tout. En le voyant, il ne vaut pas plus. Quand j'étais gosse, tout le monde nous donnait des leçons sur ce que devait être le cinéma. Un bon film ne peut pas s'inscrire dans un mauvais genre, par exemple. On peut soi-disant faire un bon drame, une bonne comédie, mais pas un bon film avec des dealers de drogue, des fusillades... Je me suis dit que j'allais exactement faire ça. Un film où tout le monde jure en permanence, plein de sang, de drogue et de coups de feu. C'est ça, Dona Lupe. Geometria a été fait dans la même impulsion : c'était un hommage très gore à Mario Bava. Ma mère jouait le personnage principal, la grosse dame. Tout le monde meurt dans ce court-métrage. Au final, c'est fun, mais ce n'est pas très bon." (*). 

Puis est arrivé l'expérience sur la série La Hora Marcada, sorte de Quatrième dimension mexicaine (1988-1990). Alfonso Cuaron a rencontré Guillermo del Toro de manière improbable dans une salle d'attente. A l'époque, Cuaron avait réalisé une histoire inspirée de Stephen King pour la série et Del Toro était connu pour ses maquillages. Comme le raconte le réalisateur des Fils de l'Homme dans Cabinet de curiosités, les deux ont parlé de ce fameux épisode et le second lui a alors donné un avis négatif mais sincère, ce qui a plu au premier. "Ce fut le début d'une belle amitié, qui m'a apporté plus que je ne pourrais le dire dans mon travail et dans ma vie. Guillermo réalisa ensuite quelques épisodes pour la même série télé, et fabriqua les prothèses pour mes épisodes." (**).

Del Toro renchérie : "J'ai quand même apprécié en tourner. Le plus gros problème, c'est que les standards et les coutumes de la télévision mexicaine nous imposaient des contraintes assez folles. Techniquement, ils avaient décidé qu'on ne pouvait pas aller très loin dans le gore, et surtout, on ne pouvait pas être sombre. Sans quoi, l'ingénieur en régie refusait carrément d'enregistrer. C'est une série d'horreur... tournée en pleine lumière ! Les budgets étaient vraiment minuscules. J'ai créé les effets-spéciaux de 21 épisodes -donc 21 monstres - j'ai écrit quatre épisodes dont un avec Alfonso, j'ai joué dans deux ou trois, j'en ai réalisé trois" (*).

Guillermo del Toro et Alfonso Cuaron 

"Guillermo et Alfonso sont deux joyeux amis..." Air connu.

La rencontre qui a permis à Del Toro de faire Cronos fut celles de Bertha et Guillermo Navarro, elle productrice, lui chef-opérateur sur le tournage de Cabeza de Vaca (Nicolas Echevarria, 1991).

"Bertha a été impressionnée. Elle m'a dit : 'Guillermo et moi, nous t'aimons beaucoup, et nous aimerions produire ton film. Guillermo est même d'accord pour se charger de la photographie.'. La première fois que j'ai rencontré Guillermo, je story-boardais une scène d'action pour un film mexicain. (...) Il était derrière la caméra, en train de travailler à partir de mes story-boards, et je lui ai dit : 'C'est la mauvaise focale.' Il s'est retourné vers moi, en rogne : 'Ok, montre-moi ce que cette focale arrive à voir !' Je me suis positionné devant la caméra, et lui ai dit : 'La focale commence ici, et s'arrête là. C'est bien ça ?' Il m'a répondu : 'Oui.' 'Donc, c'est la mauvaise focale !' En vingt ans, nous n'avons plus jamais eu de débat autour de telle ou telle focale. Ce jour-là, il a dit à Bertha : 'Ce gamin sait ce qu'il fait.' Et il n'est pas du genre à complimenter qui que ce soit, donc Bertha m'a demandé de lui montrer le scénario sur lequel je travaillais. Je lui ai fait lire Cronosqui était à l'époque complètement fou. Beaucoup plus fou que le film que vous connaissez. Il y avait des clowns vampires, par exemple, qui pissaient dans des ruelles !" (*)

Cronos

Affiche réalisée par Maritn Ansin.

Le réalisateur devra attendre quatre ans pour pouvoir financer son film, en raison d'un votant récalcitrant à l'institut  cinématographique mexicain. Ce dernier revenait toujours sur les différentes versions, arguant toujours un problème pour ne pas lancer le projet (storyboards pour les effets-spéciaux, machine servant pour le mécanisme, l'insecte). Ce même homme qui dira, après l'avoir vu fini, que "ce film n'a aucun sens, personne ne voudra le voir" (*), ce qui a bien fait rire le cinéaste lorsque le film a eu du succès. Ron Perlman a reçu le script du film à une période où il n'était pas en forme. "Je me suis lancé dans la lecture du scénario tout en faisant du vélo d'appartement au YMCA d'Hollywood ; une célèbre cinéaste indépendante lisait par-dessus mon épaule. En plus de se plaindre que je lisais trop lentement, elle n'arrêtait pas de me faire remarquer à quel point ce petit scénario lui semblait étrange. (...) Je lui ai répondu : 'Eh bien, c'est le film de vampires le plus étrange que j'aie jamais vu. Mais c'est aussi le plus malin. Jamais il ne sera validé à Hollywood. Et rien que pour ça, je vais le faire." (**).

Cronos (photo de tournage)

Ron Perlman et Guillermo del Toro, une histoire d'amitié qui dure depuis 1993.

L'acteur sera désarçonné par le fait de tourner en espagnol, mais c'est aussi le début d'une longue collaboration entre le cinéaste et l'acteur. Federico Luppi accepte le projet à condition, comme Ron Perlman, de lui payer le salaire qu'il demande, tout en disant que le script a une "histoire très minérale". Une allusion que Del Toro ne comprendra que quand l'acteur verra le film : "Il est venu me voir après pour me dire : 'Grâce à Dieu, c'est un bon film. J'étais sûr que ça allait être une merde ! Quand vous m'avez donné ce scénario, je m'étais dit en secret : 'Quel script de merde !' Je lui ai demandé : 'Pourquoi avez-vous accepté alors ?' Il m'a répondu : 'Parce que vous étiez drôle." (*). Cronos est un coup d'essai pour le moins imaginatif à une époque où le vampirisme commençait déjà à se faire plus rare au cinéma. Au mieux, on retiendra deux grosses productions sorties avant et après lui : Dracula (Francis Ford Coppola, 1992), adaptation très fidèle au roman éponyme (Bram Stoker, 1897) ; et Entretien avec un vampire (Neil Jordan, 1994) qui n'a pas toujours la réputation qu'il mérite. 

cronos-slice-600x200

Cronos n'a pas du tout l'envergure budgétaire qu'ont ces deux films et pourtant il réussit à sortir du lot et à s'imposer dans le paysage cinématographique, un peu comme Morse (Tomas Alfredson, 2009) au moment de la folie Twilight. Le processus de vampirisation s'avère amusant en soi, puisque ne vient pas d'une morsure à proprement parler. A l'intérieur d'un scarabé doré se trouve un insecte (Del Toro commence à aborder son fétichisme des mécanismes avec des vues intérieures fascinantes, mais aussi l'alchimie une autre passion du cinéaste) qui a pour don de donner l'éternité à son acquéreur. Après un prologue dévoilant ses origines, on suit un antiquaire tout ce qu'il y a de plus banal dans sa famille, Jesus Gris (Luppi). On ne peut pas faire plus évident comme allusion religieuse que ce nom, d'autant que le personnage va finalement se sacrifier pour sa famille dans un chemin de croix final. Sa croix est son corps qui se dégrade, son sacrifice est d'habiter loin de ceux qu'il aime suite à une mort programmée par ceux qui veulent le tuer. Son pouvoir d'immortalité n'a finalement que peu d'intérêt. 

Cronos (photo) 

Ron Perlman prêt à donner le coup de grâce.

Le Cronos lui injecte sa dose, mais il doit sans cesse avoir recours au sang pour se nourrir... tel un vampire. La séquence des toilettes en est la preuve : le personnage se voit condamner à lécher du sang ayant coulé par terre, tel un drogué devant un rail de coke. Le personnage ne peut s'empêcher de faire cela et on voit la honte que l'acte lui procure. Il en vient à attendre que personne n'entre dans les toilettes pour attaquer son festin. Le processus de vampirisation définitive se montre rapide une fois hors des siens. Le personnage reste éloigné du jour, sa peau se dégrade au fil du temps et les seules fois où on le verra agir dorénavant seront de nuit. Comme le confirme l'affrontement entre Jesus et Angel de la Guardia (Ron Perlman) qui se situe sur un toit. Une séquence périlleuse et curieusement bourrine, alors que le film se révèle finalement pauvre en moment d'action. C'est le seul véritable moment de ce type et il se termine de manière improbable. 

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Del Toro ne se veut peut-être pas tendre avec Jesus (en plus de souffrir corporellement, le personnage subit les assauts agressifs d'Angel par deux fois), mais son histoire avec la petite Aurora (Tamara Shanath) est particulièrement touchante. La petite-fille ira d'elle-même voir son grand-père et l'aidera à affronter ses démons comme ses assaillants. Une relation de confiance absolument magnifique qui préfigure celle entre le cireur et le petit autiste dans Mimic (1997), celle de Broom avec Hellboy ou de Pentecost et Mako dans Pacific rim. La relation entre Angel et son oncle est totalement différente puisque là où la petite-fille a du respect pour son grand-père, Angel est méprisé par son oncle et nourrit une haine contre lui. Jesus ne le tuera pas, c'est Angel qui lui donne le coup de grâce avec une sauvagerie certaine. La quête de l'immortalité devient dès lors une quête de possession, chacun essayant de tutoyer l'éternité avec le Cronos. Jesus a perdu sa dignité, les deux autres ont été tué à cause de leur vanité. Les maquillages faits sur Luppi passent moins bien dorénavant.

Cronos : Photo

On peut néanmoins rester indulgent au vue du budget restreint correspondant à ce que l'on peut appeler un film indépendant (rien à voir avec les films considérés ainsi de nos jours). Un bon casting (Luppi parvient à donner une réelle émotion à son personnage christique, quand Ron Perlman excelle en parfait salaud) aide d'autant plus ce premier film pour le moins ambitieux et montrant les prémices de Blade 2 et The strain, autres oeuvres à tendance sanguine du réalisateur.

  • L'échine du diable (2001) : Une balle dans la tête

L'Echine du diable : Affiche

L'expérience sur le film Mimic (1997) traumatise pendant plusieurs années Guillermo del Toro. Sa rencontre avec le réalisateur Pedro Almodovar au cours du Festival de Miami sera capitale. "C'est vous Guillermo del Toro ?' Je me suis retourné et il a continué : 'Je suis Pedro Almodovar. J'ai adoré Cronoset j'adorerais produire votre prochain film' Des années plus tard, je l'ai appelé pour faire L'échine du diable et ce film m'a sauvé la vie. Pedro Almodovar m'a offert une seconde chance, aussi bien au cinéma que dans la vie. Il ne s'est pas immiscé dans le film, se contentant de me protéger et de me donner tout ce dont j'avais besoin pour le tourner, sans le moindre soupçon d'égo." (**) Un projet qui date de sa jeunesse et qui lui ramène à une anecdote autour de son professeur Jaime Humberto. 

"Il [pris le script], il était écrit sur papier rose, et il l'a parcouru. Puis il l'a jeté à la poubelle. L'original. Il m'a dit : 'Il est mal présenté. Si tu ne veux pas te donner la peine de bien l'écrire, pourquoi quelqu'un se donnerait-il la peine de bien le lire ?' C'était un peu trop Mr Miyagi pour moi, alors on s'est un peu perdus de vue pendant plusieurs années, après ça. C'est alors que j'ai écrit CronosJe me suis dit : "Je pourrais retaper L'échine du diable de mémoire, ou je pourrais tout reprendre à zéro et faire Cronos" (*).

L'échine du diable (concept) 

Pages issues des carnets de Guillermo del Toro.

Se voyant convié à réaliser Blade 2, Guillermo del Toro préfère commencer par ce projet phare, son premier film en terre espagnole (le second et dernier sera Le labyrinthe de Pan en 2006). Le réalisateur choisit par la même occasion une période bien particulière en abordant la Guerre civile régnant en Espagne avant le règne définitif de Franco. Mieux, là où l'on pourrait croire comme dans son second essai hispanique que l'histoire montre la résistance contre la dictature, Del Toro se veut beaucoup plus critique. Le film dévoile une gauche complètement ravagée de l'intérieur, au contraire de la droite s'imposant dans le pays. Les communistes et les gauchistes s'entretuent petit à petit et le réglement de compte se passe dans un orphelinat. Quatorze ans avant Crimson Peak (2015), Del Toro joue déjà avec le film de maison hantée par des fantômes du passé. Moins dans l'hommage que son dernier cru, le réalisateur se veut plus avare dans les références, probablement parce que son fantôme est un enfant et que les faits sont relativement récents.

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Santi, un fantôme qui demande uniquement que justice soit faites.

Santi apparaît assez rapidement aux yeux du nouvel arrivant Carlos (Fernando Tielve) comme un rituel de passage, à l'image de son rapide bizutage par son camarade Jaime (Inigo Garcès). Les deux garçons n'ont en apparence rien à voir ensemble, mais il se trouve que ce sont les deux seules personnes à voir le fantôme et comme le confirme l'ouverture, Jaime est directement impliqué. Deux enfants meurtris par la vie et dont la guerre civile a ruiné définitivement l'existence. Carlos a été abandonné avant que ses parents ne disparaissent définitivement (il est déposé à l'orphelinat pour le retirer des conflits, on ne les reverra plus jamais), Jaime a perdu son ami et doit vivre avec un lourd secret (il a assisté à sa mort). C'est ce moment que l'on peut voir au début du film avant l'arrivée de Carlos. Le spectateur ne le sait évidemment pas encore, mais Del Toro dévoilera la scène plus précisément en temps voulu, le responsable du meurtre apparaissant dorénavant à nos yeux. En plus d'être hanté, l'orphelinat a un point particulier en plus, puisqu'il se trouve dans une région isolée de la ville la plus proche.

L'échine du diable (photo)

Jacinto, l'enfant devenu un monstre.

Si drame il y a, aucune personne ne pourra aider les enfants. Les seuls adultes sont un vieil homme (Federico Luppi qui a dû trouver le script très "minéral"), une femme handicapée (Marisa Parades, actrice fétiche d'Almodovar), une autre femme bien plus jeune (Irene Visedo) et l'amant des deux femmes (Eduardo Noriega, monumental comme très souvent dans les rôles complexes). Rien ne peut prévoir que Jacinto ne soit le tueur avant qu'il ne balafre Carlos. Dès lors, il n'y a plus de doute sur la cruauté du personnage. S'il est capable de défigurer un enfant, il sera capable de tout y compris de tuer pour assouvir sa soif d'or. Jacinto est aussi un enfant abandonné de l'orphelinat et petit à petit, il est devenu un garçon replié sur lui-même au point de devenir un monstre. Plus que Vidal dans Le labyrinthe de Pan (qui était un personnage hanté par le souvenir de son père, mais réellement sadique), Jacinto est un monstre né de la souffrance, prêt à tuer ceux qui seront en travers de son chemin, y compris des enfants.

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L'échine du diable est donc à la fois un film sur l'origine du mal, que ce soit celui qui a gangrené la gauche espagnole symbolisée à elle seule par une bombe écrasée qui n'explose pas ; comme de celle de Jacinto qui l'a rongé jusqu'au point de non-retour. Mais aussi sur l'amitié (les drames des enfants les réunissent face à des adultes d'une cruauté sans précédent) et de maison hantée (Santi est montré de manière menaçante, mais il ne cherche pas à faire peur ses camarades, juste que son souvenir ne soit pas oublié). Un mélange subtil et violent, peut-être le film le plus dur de son réalisateur avec Le labyrinthe de Pan, les deux étant liés par le passé peu glorieux de l'Espagne. L'épilogue du film est à l'image du film : sans réel espoir. Les enfants partent vers un inconnu bien lointain (certains diront que la mort est au bout) quand Casares laisse petit à petit place à un ectoplasme, gardien d'un temple souillé par la guerre et l'or.

  • Mimic (1997) : Un coup de cafard

Mimic (affiche)

Tout part d'un court-métrage scénarisé par Guillermo del Toro et Matthew Robbins (scénariste de Crimson Peak et avec qui Del Toro a collaboré sur les projets "Le vent dans les saules" et "Les montagnes hallucinées") et devant servir à une anthologie avec Impostor de Gary Fleder et Alien Love Triangle de Danny Boyle. L'anthologie ne tiendra pas mais les Weinstein, essayant de jouer sur le filon du film d'insectes (Starship troopers blockbuster événement de Paul Verhoeven et Relic de Peter Hyams sont annoncés pour 1997), décident de faire de Mimic un long-métrage pour 30 millions de dollars. John Sayles (scénariste d'Hurlements) reprend le scénario dans une version qui convainc Del Toro mais pas les Weinstein. Steven Soderbergh et Matt Greenberg (scénariste d'Halloween 20 ans après) s'y essayent avec le même son de cloche. Del Toro veut un couple interracial, les Weinstein non. Le couple Mira Sorvino / Jeremy Northam ne s'entendra pas du tout, ce qui n'a pas arrangé les choses. 

Mimic (carnet) 

Photo issue de Cabinet de curiosités.

Il se peut d'ailleurs que l'agression de Weinstein sur Sorvino se soit déroulée durant la production même de Mimic. Il veut que l'inspecteur joué par Josh Brolin soit gay, eux non. Le dialogue de sourd va commencer à s'intensifier au fur et à mesure de la pré-production et ce jusque pendant le tournage. "Au départ, les insectes n'étaient pas du tout des cafards, mais plutôt des scarabées. Ils étaient censés se développer dans l'écorce des arbres de Central Park. Un jour, l'un des producteurs a dit : 'Pourquoi ne pas en faire des cafards ?' Je lui ai répondu : 'Il faut que vous soyez conscient d'une chose : une fois que nous serons partis dans cette direction, quoi que je fasse derrière la caméra, peu importe la beauté des imagesMimic ne sera plus qu'un film de cafards géants.' On m'a dit : 'Ce n'est pas grave, vous avez tort, on peut marketer ce nouveau concept' bla bla bla. Et Mimicc'est quoi au final ? Un film de cafards géants." (**). La bêtise des producteurs continue puisque même validés depuis un bail, les designs des insectes n'ont pas le look adéquate selon eux. 

Mimic (photo)

La mort de Josh Brolin, un passage qu'a réalisé partiellement Guillermo del Toro.

Del Toro se voit proposer d'en faire des aliens, de leur insérer des dents (un peu bête pour des insectes), des poils... Le réalisateur se voit peu à peu dépossédé de son film, au point d'atteindre le point de non-retour. "Au début, j'ai dit aux exécutifs : 'Il y a deux choses que je ne ferais jamais dans ce film. Je ne filmerai pas d'explosion, et je n'utiliserai aucune arme.' Regardez le film : les gens ont des armes, et ça finit par une grosse explosion !" (*). Mieux, les Weinstein font tourner des scènes dans le dos du réalisateur avec Ole Bornedal (qui produit le film et aura droit au même sort sur son auto-remake du Veilleur de nuit, lui aussi produit par les Weinstein), Rick Bota et Robert Rodriguez. "Je voulais absolument tourner moi-même l'un des mes moments préférés du script de Mimicmais c'est la seconde équipe qui en a hérité. C'était la mort de Josh Brolin. Dans cette séquence, on voit mes plans du cafard pendu à l'envers, puis les plans de la seconde équipe, puis mes plans à nouveau... Ça me fait mal à chaque fois que je la regarde." (**). 

Mimic : photo

Jeremy Northam et Mira Sorvino, un couple parfait à l'écran mais qui se chamaille en coulisses.

Cela se confirme même par des incohérences délirantes, puisque bien que se tenant à une corde la tête vers l'horizon, Josh Brolin a du sang venant de ses jambes qui lui gicle en pleine figure, ce qui n'est pas crédible une seule seconde. Comme le dit souvent Del Toro, le film comporte 75% de ce qu'il voulait faire et il perd des éléments cruciaux dans sa dernière partie. On parle d'une chambre nuptiale où le mâle dominant féconde toute une flopée de femelles suspendues, avant d'assister à une poursuite entre Susan (Sorvino) et lui, dont l'organe reproducteur est encore à l'intérieur d'une de ses femelles (!). Le cireur (Giancarlo Giannini) s'égorgeait avant de se faire bouffer par les insectes. La sécurité du métro débarquaient avec des masques rappelant les Judas (concept plus ou moins repris dans Blade 2). Le plus gros charcutage dans le scénario reste surtout un final qui n'a strictement rien à voir avec celui du résultat final. Dans le film (tout montage confondu), Peter (Northam) faisait sauter les égoûts dans un final ressemblant fortement à celui d'Aliens (Cameron, 1986) avant de revenir en héros.

Mimic : photo 

Quand Del Toro parle de l'autre fin, on ne peut qu'avoir mal au ventre devant tant de potentiel. "Pendant le film, on n'arrête pas de parler du mâle. Dans le scénario, quand le mâle apparaissait enfin, il était tout ouvert, comme une gigantesque araignée. Puis il commençait à se replier, jusqu'à prendre la forme d'un homme nu. Complètement nu, blanc, avec quelques lignes révélant son statut de monstre. Les créatures avaient donc évolué jusqu'à parvenir à imiter quasiment à la perfection l'apparence humaine. Il approchait de Mira Sorvino, la regardait, et disait : 'Pars'. Il parlait ! C'était ça, l'horreur ultime du film. (...) On devait finir avec elle en train de gravir la plate-forme du métro, et arrivée à l'air libre, elle voyait des monstres déguisés en humains partout. C'était une fin parfaite pour un film d'horreur. (...) Le studio voulait juste un autre Alien." (**). Mimic aura droit à deux suites (2001, 2003) tournées à la sauvette pour le marché vidéo, sous le joug des Weinstein (rappelons que les derniers Hellraiser sont également de leur chef avec le résultat lamentable que l'on connaît). Tout cela sans que Del Toro ne soit impliqué de près ou de loin.

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Un Judas dans ce qu'il y a de plus correspondant du concept initial.

En 2011, le réalisateur a néanmoins pu faire une director's cut suite à la vente de Miramax par Disney et le départ des Weinstein de leur studio. Il ajoute plus qu'il ne change l'histoire. L'introduction d'un personnage secondaire passe beaucoup mieux, le passage des sans-abris dans le métro passe à la trappe (Del Toro le jugeait inadéquat) et surtout le test de grossesse de Susan devient positif par un petit rajout. Vraiment rien de nouveau sous le soleil comme on dit et le spectateur pourra se contenter de la première version (d'autant qu'elle est indisponible en France). Par ailleurs, s'il y a une chose qu'a retenu particulièrement Guillermo del Toro c'est comment filmer l'action : "Alfonso [Cuaron] m'a beaucoup aidé quand j'ai tourné Mimic. Je l'ai appelé pour lui dire : 'Je dois tourner des scènes d'action. Qu'est-ce que je dois faire ?' Il m'a répondu : 'En général, quand un réalisateur tourne de l'action aux USA, il utilise deux lentilles très différentes, une longue et une courte.' 'C'est tout?' 'C'est tout.' Cette technique m'a servi tout au long de Mimic je n'aurais pas pu finir le film sans Alfonso" (*). Comme évoqué plus haut par Del Toro, Mimic devient petit à petit un film de cafards géants, toutes les options concordant à un changement ayant été petit à petit rejeté par les Weinstein.

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Jaquette du director's cut du film.

Le constat le plus évident reste bien le changement radical des Judas, qui auraient dû progressivement ressembler à des humains. Rien de cela dans le film terminé, y compris une quelconque évolution. Le seul élément qui pourrait à la rigueur changer la donne sont les silhouettes se dessinant dans la scène avec le chinois sous la pluie et quand le petit autiste (Alexander Goodwin) se retrouvent face à deux des Judas. C'est malheureusement bien tout et c'est ce qu'on retient principalement de Mimic : un sympathique film de monstres qui a un potentiel totalement inexploité à cause de producteurs peu scrupuleux. Idem pour leurs représentations. Del Toro semble jouer la suggestion le plus possible, comme le passage avec le chinois suite à l'ellipse temporelle. Il ose même le meurtre sauvage de deux enfants filmé le plus possible dans l'ombre (même si le dernier plan montre un insecte en cgi), rappelant Le blob (Chuck Russell, 1988). Dès que les insectes géants sont présents au centre du récit, la suggestion devient limitée et leur omniprésence visuelle pose problème.

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Tout simplement parce que les insectes en cgi sont vieillissants et qu'ils font souvent peine à voir aujourd'hui. Le climax avec Peter en est la preuve, car on ne croit pas du tout aux insectes générés par ordinateur qui l'entoure. Le budget n'étant pas énorme et vu les magouilles des Weinstein pour faire souvent dans les cgi low cost, ce genre de résultat est peu étonnant. Au niveau du récit, si le reste tient à peu près la route, malgré cette tendance à tutoyer Aliens dans le climax, Peter remplaçant Ripley dans l'explosion d'insectes / aliens (idem avec Predator de John McTiernan, puisque les personnages en viennent à camoufler leur odeur avec les organes des Judas), l'ouverture laisse à désirer. Trop expédiée, elle se résume au minimum : un virus développé par des cafards dans New York ; on embauche une scientifique pour trouver un vaccin ; elle le trouve ; elle le met dans les égoûts ; le virus est éradiqué ; ellipse temporelle ! Au contraire d'un Pacific rim où Del Toro introduit en quelques minutes l'ensemble des choses à savoir avant de passer à l'action ; Mimic va beaucoup trop vite au risque de laisser le spectateur sur le carreau quant au postulat de départ.

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Le reste du film est en soi beaucoup plus fluide, au point de se demander si l'introduction ne serait pas inutile. En effet, les différents éléments seront répétés au cours du film et au vue du traitement, cela aurait permis d'y revenir à la rigueur par flashbacks. Néanmoins là où Del Toro semble bel et bien présent (en plus du design des créatures), c'est évidemment dans sa caractérisation des personnages. Le couple principal se révèle assez touchant, se retrouvant à être dans l'incapacité de procréer (cet élément est évidemment changé dans le director's cut, ce qui donne un ton bizarrement guerrier avec le mari faisant tout pour dire à sa femme qu'elle est enceinte) alors qu'ils ont créé une nouvelle race d'insectes capables de le faire à vitesse grand V. De même pour ce grand-père essayant de retrouver son petit-fils par tous les moyens et ne cessant de valoriser son intelligence. Une relation qui fait directement écho au précédent film de Guillermo del Toro Cronos. Même le policier incarné par Charles S Dutton en vient à se sacrifier (le personnage est blessé et les Judas repèrent les humains par l'odeur du sang) pour sauver les autres.

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En soi, Mimic se regarde plutôt bien et a souvent de bonnes idées. Le problème est que son potentiel a été complètement gâché. Un film tué dans l'oeuf.

Allez à la prochaine!


Mis à jour le 13 octobre 2017.

* Propos recueillis dans Mad Movies Hors-Série numéro 27.

** Propos recueillis dans Guillermo Del Toro, Cabinet de curiosités: Mes carnets, collections et autres obsessions.

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Commentaires
B
Il est plus dur en effet Jacinto étant peut être pire que Vidal car c'est un monstre de rancoeur. Je te conseille Pacific rim et Cronos.
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T
Le seul film que j'ai vu de ta chronique est L'échine du diable, et comme tu le sais déjà, j'adore ce film (je crois que je suis tout simplement sensible à cette période de l'histoire espagnole), et effectivement je le trouve plus dur que Le Labyrinthe de Pan.
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